Victor Hugo

Comédie dans les feuilles

 
Au fond du parc qui se délabre,
Vieux, désert, mais encor charmant
Quand la lune, obscur candélabre,
S’allume en son écroulement,
 
Un moineau-franc, que rien ne gêne,
A son grenier, tout grand ouvert,
Au cinquième étage d’un chêne
Qu’avril vient de repeindre en vert.
 
Un saule pleureur se hasarde
À gémir sur le doux gazon,
À quelques pas de la mansarde
Où ricane ce polisson.
 
Ce saule ruisselant se penche ;
Un petit lac est à ses pieds,
Où tous ses rameaux, branche à branche,
Sont correctement copiés.
 
Tout en visitant sa coquine
Dans le nid par l’aube doré,
L’oiseau rit du saule, et taquine
Ce bon vieux lakiste éploré.
 
Il crie à toutes les oiselles
Qu’il voit dans les feuilles sautant :
—Venez donc voir, mesdemoiselles !
Ce saule a pleuré cet étang.
 
Il s’abat dans son tintamarre
Sur le lac qu’il ose insulter :
—Est-elle bête cette mare !
Elle ne sait que répéter.
 
Ô mare, tu n’es qu’une ornière.
Tu rabâches ton saule. Allons,
Change donc un peu de manière.
Ces vieux rameaux-là sont très longs.
 
Ta géorgique n’est pas drôle.
Sous prétexte qu’on est miroir,
Nous faire le matin un saule
Pour nous le refaire le soir !
 
C’est classique, cela m’assomme.
Je préférerais qu’on se tût.
Çà, ton bon saule est un bonhomme ;
Les saules sont de l’institut.
 
Je vois d’ici bâiller la truite.
Mare, c’est triste, et je t’en veux
D’être échevelée à la suite
D’un vieux qui n’a plus de cheveux.
 
Invente-nous donc quelque chose !
Calque, mais avec abandon.
Je suis fille, fais une rose,
Je suis âne, fais un chardon.
 
Aie une idée, un iris jaune,
Un bleu nénuphar triomphant !
Sapristi ! Il est temps qu’un faune
Fasse à ta naïade un enfant.—
 
Puis il s’adresse à la linotte :
—Vois-tu, ce saule, en ce beau lieu,
A pour état de prendre en note
Le diable à côté du bon Dieu.
 
De là son deuil. Il est possible
Que tout soit mal, ô ma catin ;
L’oiseau sert à l’homme de cible,
L’homme sert de cible au destin ;
 
Mais moi, j’aime mieux, sans envie,
Errer de bosquet en bosquet,
Corbleu, que de passer ma vie
À remplir de pleurs un baquet !—
 
Le saule à la morne posture,
Noir comme le bois des gibets,
Se tait, et la mère nature
Sourit dans l’ombre aux quolibets
 
Que jette, à travers les vieux marbres,
Les quinconces, les buis, les eaux,
À cet Héraclite des arbres
Ce Démocrite des oiseaux.

"Les chansons des rues et des bois (1865)"

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