Victor Hugo

Chelles

J’aime Chelles et ses cressonnières,
Et le doux tic-tac des moulins
Et des coeurs, autour des meunières ;
Quant aux blancs meuniers, je les plains.
 
Les meunières aussi sont blanches ;
C’est pourquoi je vais là souvent
Mêler ma rêverie aux branches
Des aulnes qui tremblent au vent.
 
J’ai l’air d’un pèlerin ; les filles
Me parlent, gardant leur troupeau ;
Je ris, j’ai parfois des coquilles
Avec des fleurs, sur mon chapeau.
 
Quand j’arrive avec mon caniche,
Chelles, bourg dévot et coquet,
Croit voir passer, fuyant leur niche,
Saint Roch, et son chien saint Roquet.
 
Ces effets de ma silhouette
M’occupent peu ; je vais marchant,
Tâchant de prendre à l’alouette
Une ou deux strophes de son chant.
 
J’admire les papillons frêles
Dans les ronces du vieux castel ;
Je ne touche point à leurs ailes.
Un papillon est un pastel.
 
Je suis un fou qui semble un sage.
J’emplis, assis dans le printemps,
Du grand trouble du paysage
Mes yeux vaguement éclatants.
 
Ô belle meunière de Chelles,
Le songeur te guette effaré
Quand tu montes à tes échelles,
Sûre de ton bas bien tiré.

"Les chansons des rues et des bois (1865)"

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