Victor Hugo

À Dona Rosita Rosa

I.
 
Ce petit bonhomme bleu
Qu’un souffle apporte et remporte,
Qui, dès que tu dors un peu,
Gratte de l’ongle à ta porte,
 
C’est mon rêve. Plein d’effroi,
Jusqu’à ton seuil il se glisse.
Il voudrait entrer chez toi
En qualité de caprice.
 
Si tu désires avoir
Un caprice aimable, leste,
Et prenant un air céleste
Sous les étoiles du soir,
 
Mon rêve, ô belle des belles,
Te convient ; arrangeons-nous.
Il a ton nom sur ses ailes
Et mon nom sur ses genoux.
 
Il est doux, gai, point morose,
Tendre, frais, d’azur baigné.
Quant à son ongle, il est rose,
Et j’en suis égratigné.
 
II.
 
Prends-le donc à ton service.
C’est un pauvre rêve fou ;
Mais pauvreté n’est pas vice.
Nul coeur ne ferme au verrou ;
 
Ton coeur, pas plus que mon âme,
N’est clos et barricadé.
Ouvre donc, ouvrez, madame,
A mon doux songe évadé.
 
Les heures pour moi sont lentes,
Car je souffre éperdument ;
Il vient sur ton front charmant
Poser ses ailes tremblantes.
 
T’obéir sera son voeu ;
Il dorlotera ton âme ;
Il fera chez toi du feu,
Et, s’il le peut, de la flamme.
 
Il fera ce qui te plaît ;
Prompt à voir tes désirs naître ;
Belle, il sera ton valet,
Jusqu’à ce qu’il soit ton maître.

"Les chansons des rues et des bois (1865)"

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