Tristan Corbière

Steam-Boat

                       À une passagère.
 
En fumée elle est donc chassée
L’éternité, la traversée
Qui fit de Vous ma soeur d’un jour,
    Ma soeur d’amour !...
 
Là-bas : cette mer incolore
Où ce qui fut Toi flotte encore...
Ici : la terre, ton écueil,
    Tertre de deuil !
 
On t’espère là.... Va légère !
Qui te bercera, Passagère ?...
Ô passagère [de] mon coeur,
    Ton remorqueur !...
 
Quel ménélas, sur son rivage,
Fait le pied ?... – Va, j’ai ton sillage...
J’ai, – quand il est là voir venir, –
    Ton souvenir !
 
Il n’aura pas, lui, ma Peureuse,
Les sauts de ta gorge houleuse !...
Tes sourcils salés de poudrain
    Pendant un grain !
 
Il ne t’aura pas : effrontée !
Par tes cheveux au vent fouettée !...
Ni, durant les longs quarts de nuit,
    Ton doux ennui...
 
Ni ma poésie où : – Posée,
Tu seras la mouette blessée,
Et moi le flot qu’elle rasa...
    Et cætera.
 
–Le large, bête sans limite,
Me paraîtra bien grand, Petite,
Sans Toi !... Rien n’est plus l’horizon
    Qu’une cloison.
 
Qu’elle va me sembler étroite !
Tout seul, la boîte à deux !... la boîte
Où nous n’avions qu’un oreiller
    Pour sommeiller.
 
Déjà le soleil se fait sombre
Qui ne balance plus ton ombre,
Et la houle a fait un grand pli...
   –Comme l’oubli ! –
 
Ainsi déchantait sa fortune,
En vigie, au sec, dans la hune,
Par un soir frais, vers le matin,
    Un pilotin.
 
 
                               10' long. O.
                               40' lat. N.
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