Tristan Corbière

Déjeuner de soleil

                             Bois de Boulogne, 1er mai.
 
Au Bois, les lauriers sont coupés,
Mais le Persil verdit encore ;
Au Serpolet, petits coupés
Vertueux vont lever l’Aurore...
 
L’Aurore brossant sa palette :
Kh’ol, carmin et poudre de riz ;
Pour faire dire – la coquette –
Qu’on fait bien les ciels à Paris.
 
Par ce petit-lever de Mai,
Le Bois se croit à la campagne :
Et, fraîchement trait, le champagne
Semble de la mousse de lait.
 
Là, j’ai vu les Chère Madame
S’encanailler avec le frais...
Malgré tout prendre un vrai bain d’âme !
–Vous vous engommerez après. –
 
... La voix à la note expansive :
–Vous comprenez ; voici mon truc :
Je vends mes Memphis, et j’arrive...
–Cent louis !... – Eh, Eh ! Bibi... – Mon duc ?...
 
On presse de petites mains :
–Tiens... assez pur cet attelage. –
Même les cochers, au dressage,
Redeviennent simples humains.
 
–Encor toi ! vieille Belle-Impure !
Toujours, les pieds au plat, tu sors,
Dans ce déjeuner de nature,
Fondre un souper à huit ressorts... –
 
Voici l’école buissonnière :
Quelques maris jaunes de teint,
Et qui rentrent dans la carrière
D’assez bonne heure... le matin.
 
Le lapin inquiet s’arrête,
Un sergent-de-ville s’assied,
Le sportsman promène sa bête,
Et le rêveur la sienne – à pied. –
 
Arthur même a presque une tête,
Son faux-col s’ouvre matinal...
Peut-être se sent-il poète,
Tout comme Byron – son cheval.
 
Diane au petit galop de chasse
Fait galoper les papillons
Et caracoler sur sa trace,
Son Tigre et les vieux beaux Lions.
 
Naseaux fumants, grand œil en flamme,
Crins d’étalon : cheval et femme
Saillent de l’avant !...
                               –Peu poli.
–Pardon : maritime... et joli.
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