Théodore de Banville

Les Cariatides.

C’est un palais du dieu, tout rempli de sa gloire.
 
Cariatides sœurs, des figures d’ivoire
Portent le monument qui monte à l’éther bleu,
Fier comme le témoin d’une immortelle histoire.
 
Quoique l’archer Soleil avec ses traits de feu
Morde leurs seins polis et vise à leurs prunelles,
Elles ne baissent pas les regards pour si peu.
 
Même le lourd amas des pierres solennelles
Sous lesquelles Atlas plierait comme un roseau,
Ne courbera jamais leurs têtes fraternelles.
 
Car elles savent bien que le mâle ciseau
Qui fouilla sur leurs fronts l’architrave et les frises
N’en chassera jamais le zéphyr et l’oiseau.
 
Hirondelles du ciel, sans peur d’être surprises
Vous pouvez faire un nid dans notre acanthe en fleur :
Vous n’y casserez pas votre aile, tièdes brises.
 
Ô filles de Paros, le sage ciseleur
Qui sur ces médaillons a mis les traits d’Hélène
Fuit le guerrier sanglant et le lâche oiseleur.
 
Bravez même l’orage avec son âpre haleine
Sans craindre le fardeau qui pèse à votre front,
Car vous ne portez pas l’injustice et la haine.
 
Sous vos portiques fiers, dont jamais nul affront
Ne fera tressaillir les radieuses lignes,
Les héros et les Dieux de l’amour passeront.
 
Les voyez-vous, les uns avec des folles vignes
Dans les cheveux, ceux-là tenant contre leur sein
La lyre qui s’accorde au chant des hommes-cygnes ?
 
Voici l’aïeul Orphée, attirant un essaim
D’abeilles, Lyaeus qui nous donna l’ivresse,
Éros le bienfaiteur et le pâle assassin.
 
Et derrière Aphrodite, ange à la blonde tresse,
Voici les grands vaincus dont les cœurs sont brisés,
Tous les bannis dont l’âme est pleine de tendresse ;
 
Tous ceux qui sans repos se tordent embrasés
Par la cruelle soif de l’amante idéale,
Et qui s’en vont au ciel, meurtris par les baisers,
 
Depuis Phryné, pareille à l’aube orientale,
Depuis cette lionne en quête d’un chasseur
Qui but sa perle au fond de la coupe fatale,
 
Jusqu’à toi, Prométhée, auguste ravisseur !
Jusqu’à don Juan qui cherche un lys dans les tempêtes !
Jusqu’à toi, jusqu’à toi, grande Sappho, ma sœur !
 
J’ai voulu, pour le jour des éternelles fêtes
Réparer, fils pieux de leur gloire jaloux,
Le myrte et les lauriers qui couronnent leurs têtes.
 
J’ai lavé de mes mains leurs pieds poudreux. Et vous,
Plus belles que le chœur des jeunes Atlantides,
Alors qu’ils vous verront d’un œil terrible et doux,
 
Saluez ces martyrs, ô mes Cariatides !

Les Cariatides (1842)

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