Théodore de Banville

Ballade de la vraie sagesse.

Mon bon ami, poète aux longs cheveux,
Joueur de flûte à l’humeur vagabonde,
Pour l’an qui vient je t’adresse mes vœux :
Enivre-toi, dans une paix profonde,
Du vin sanglant et de la beauté blonde.
Comme à Noël, pour faire réveillon
Près du foyer en flamme, où le grillon
Chante à mi-voix pour charmer ta paresse,
Toi, vieux Gaulois et fils du bon Villon,
Vide ton verre et baise ta maîtresse.
 
Chante, rimeur, ta Jeanne et ses grands yeux
Et cette lèvre où le sourire abonde ;
Et que tes vers à nos derniers neveux,
Sous la toison dont l’or sacré l’inonde,
La fassent voir plus belle que Joconde.
Les Amours nus, pressés en bataillon,
Ont des rosiers broyé le vermillon
Sur le beau sein de cette enchanteresse.
Ivre déjà de voir son cotillon,
Vide ton verre et baise ta maîtresse.
 
Une bacchante, aux bras fins et nerveux,
Sur les coteaux de la chaude Gironde,
Avec ses sœurs, dans l’ardeur de ses jeux,
Pressa les flancs de sa grappe féconde
D’où ce vin clair a coulé comme une onde.
Si le désir, aux yeux d’émerillon,
T’enfonce au cœur son divin aiguillon,
Profites-en ; l’Ame, disait la Grèce,
A pour nous fuir l’aile d’un papillon :
Vide ton verre et baise ta maîtresse.
 
                     Envoi :
 
Ma muse, ami, garde le pavillon.
S’il est de pourpre, elle aime son haillon,
Et me répète à travers son ivresse,
En secouant son léger carillon :
Vide ton verre et baise ta maîtresse.

Odes funambulesques (1857)

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