Théodore de Banville

À Léon Gatayes.

Avec ses sanglots, l’instrument rebelle,
Qui sent un pouvoir plus fort que le sien,
Donne l’harmonie enivrante et belle
             Au musicien.
 
Le cheval meurtri, qui saigne et qui pleure,
Cède au cavalier, rare parmi nous,
Dont aucun effort ne peut avant l’heure
             Lasser les genoux.
 
De même d’abord, le Rhythme farouche
Devant la Pensée écume d’horreur,
Et, pour se soustraire au dieu qui le touche,
             Se cabre en fureur.
 
Mais bientôt, léchant la main qui l’opprime,
Il marche en cadence, et comme par jeu,
Son vainqueur lui met le mors de la Rime
             Dans sa bouche en feu.
 
Tu le sais, ami, toi dont l’Art s’honore,
Homme à la main souple, au jarret d’acier,
Qui fais obéir la harpe sonore
             Et l’ardent coursier ;
 
Lorsque aimé d’Isis aux triples ceintures,
Un homme intrépide a baisé son sein,
La création et les créatures
             Suivent son dessein.
 
Le Génie en feu donne à l’âme altière
Le Commandement, ce charme vanté,
Et l’Esprit captif dans l’âpre Matière
             Cède épouvanté.

Odelettes (1856)

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