Ô champs pleins de silence,
Où mon heureuse enfance
Avait des jours encor
Tout filés d’or !
Ô ma vieille Font-Georges,
Vers qui les rouges-gorges
Et le doux rossignol
Prenaient leur vol !
Maison blanche où la vigne
Tordait en longue ligne
Son feuillage qui boit
Les pleurs du toit !
Ô claire source froide,
Qu’ombrageait, vieux et roide,
Un noyer vigoureux
A moitié creux !
Sources ! fraîches fontaines !
Qui, douces à mes peines,
Frémissiez autrefois
Rien qu’à ma voix !
Bassin où les laveuses
Chantaient insoucieuses
En battant sur leur banc
Le linge blanc !
Ô sorbier centenaire,
Dont trois coups de tonnerre
Avaient laissé tout nu
Le front chenu !
Tonnelles et coudrettes,
Verdoyantes retraites
De peupliers mouvants
A tous les vents !
Ô vignes purpurines,
Dont, le long des collines,
Les ceps accumulés
Ployaient gonflés ;
Où, l’automne venue,
La Vendange mi-nue
A l’entour du pressoir
Dansait le soir !
Ô buissons d’églantines,
Jetant dans les ravines,
Comme un chêne le gland,
Leur fruit sanglant !
Murmurante oseraie,
Où le ramier s’effraie,
Saule au feuillage bleu,
Lointains en feu !
Rameaux lourds de cerises !
Moissonneuses surprises
A mi-jambe dans l’eau
Du clair ruisseau !
Antres, chemins, fontaines,
Acres parfums et plaines,
Ombrages et rochers
Souvent cherchés !
Ruisseaux ! forêts ! silence !
Ô mes amours d’enfance !
Mon âme, sans témoins,
Vous aime moins
Que ce jardin morose
Sans verdure et sans rose
Et ces sombres massifs
D’antiques ifs,
Et ce chemin de sable,
Où j’eus l’heur ineffable,
Pour la première fois,
D’ouïr sa voix !
Où rêveuse, l’amie
Doucement obéie,
S’appuyant à mon bras,
Parlait tout bas,
Pensive et recueillie,
Et d’une fleur cueillie
Brisant le cœur discret
D’un doigt distrait,
A l’heure où les étoiles
Frissonnant sous leurs voiles
Brodent le ciel changeant
De fleurs d’argent.