Sully Prudhomme

L’épée

                       Sonnet.
 
 
Qu’est-ce tranchant de fer souple, affilé, pointu ?
Ce ne sont pas les flancs de la terre qu’il fouille,
Ni les pierres qu’il fend, ni les bois qu’il dépouille.
Quel art a-t-il servi, quel fléau combattu ?
 
Est-ce un outil ? Non pas ! car l’homme de vertu
L’abhorre : ce n’est pas la sueur qui le mouille,
Et ce qu’on aime en lui, c’est la plus longue rouille.
« Lame aux éclairs d’azur et de pourpre, qu’es-tu ?
 
—Je suis l’épée, outil des faiseurs d’ossuaires,
Et, comme l’ébauchoir aux mains des statuaires,
Je cours au poing des rois, taillant l’homme à leur gré.
 
« Or, je dois tous les ans couper la fleur des races,
Jusqu’à l’heure où la chair se fera des cuirasses,
Plus fortes que le fer, avec le droit sacré. »

Les épreuves (1866)

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