Sully Prudhomme

Corps et Âmes

Heureux les cœurs, les cœurs de sang !
Leurs battements peuvent s’entendre ;
Et les bras ! Ils peuvent se tendre,
Se posséder en s’enlaçant.
 
Heureux aussi les doigts ! Ils touchent ;
Les yeux ! Ils voient. Heureux les corps !
Ils ont la paix quand ils se couchent,
Et le néant quand ils sont morts.
 
Mais, oh ! Bien à plaindre les âmes !
Elles ne se touchent jamais :
Elles ressemblent à des flammes
Ardentes sous un verre épais.
 
De leurs prisons mal transparentes
Ces flammes ont beau s’appeler,
Elles se sentent bien parentes,
Mais ne peuvent pas se mêler.
 
On dit qu’elles sont immortelles ;
Ah ! Mieux leur vaudrait vivre un jour,
Mais s’unir enfin !... dussent-elles
S’éteindre en épuisant l’amour !

Les solitudes (1869)

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