Robert Desnos

La plateforme dominait la ville

« Si elles tissent » les fils de leurs toiles doivent avoir l’épaisseur d’un câble. »—Ne bougeons pas—La porte est fermée. Leurs pattes molles molles et velues passent sous le chambranle. Elles vont barricader le corridor. Il est toujours minuit sur l’herbe verte et dans ses jupons jaunes une fille de dix-huit ans se déshabille au clair d’un lampadaire électrique : Les agents se promènent comme des mouches dans ma ville natale. Les araignées ! Les araignées, ah ! ah ! nous sommes douze comme les heures et les œufs douze comme les cerises dans l’assiette de ma bien belle douze comme les apôtres. Il est deux heures il est deux heures cinq, dix, le quart ah ! ah ! malgré verrou et chaînes voici l’araignée géante. Cette araignée avait deux mètres de haut, elle ouvrit sans difficulté la porte barricadée et entra. Elle prit l’un des hommes et l’emmena. On entendit le bruit de ses pas s’éloigner comme quatre hommes. Elle avait deux mètres de haut.

Les onze qui restaient devant la porte ouverte contemplèrent longtemps le corridor obscur qui les fascinait puis ils refermèrent la porte et la clouèrent. A trois heures un quart une autre araignée géante entra et ainsi en fut-il à tous les quarts passés chaque heure. Les trois qui restaient à heures laissèrent la porte ouverte à quoi bon de solides geôliers gardaient les issues où plus frétillantes que des sardines les terreurs jouaient à la manille aux enchères. Une demi-douzaine de mains sur une table simulent une bataille de l’empire. Nous en avons vu de pareilles de tous temps.

Et ceci se passait dans une petite maison blanche et rouge, entourée de barrières blanches dans des champs plus verts que le vert-de-gris des cuivres déterrés. Le ciel bleu devait son intensité à une poussière jaune qui lui aussi le verdissait. Les tumulus pesants étaient jaunes. Et depuis trois jours les araignées cernaient la maison. Une à une elles entraient d’heure en heure et prenaient un homme et lui suçaient les parties molles. Elles se reposaient après comme de grands carrosses sur le gazon tragique. De chacun de ces corps le sang en se répandant traçait un dessin bizarre et rigoureusement géométrique. Au flanc d’un coteau à l’horizon de beaux hommes vêtus de blanc de belles jeunes filles vêtues de blanc jouaient au tennis avec des balles noires et brillantes. On entendait leur voix par instant : « Play ! » « Out ! » ...« Ready ? ». Un chemin de fer au loin passait en poussant son cri. Sa fumée jaune mettait une queue aux tumulus. Au troisième wagon une portière ouverte battait de l’aile. On apercevait l’intérieur du compartiment. Sur les banquettes reposaient un joli chapeau de femme orné d’une aigrette pleureuse et une paire de bas neufs. Puis de nouveau la verdure rejetait un peu de fumée. Play ! Out ! Ready.

Dans un remorqueur, sur la Seine, passaient les animaux du désert. L’heure était écoulée ; une araignée rentrait dans la maison pour son funeste repas.

L’un des trois derniers retira son veston et sa chemise. Play ! Out ! Ready ! Il n’avait pas de poils sur la poitrine et les deux autres l’imitèrent

Ma chère belle murmurait le jeune homme dans le bar. Elle lui passa le bras autour du cou et ils burent au même verre. L’orchestre jouait : les verres cliquetaient. Amour amour tu uniras ces jeunes corps qui deviendront corps. Ces lèvres gourmandes de confitures et de fumée odorante. Car le tabac est atmosphère d’amour. Prends-les, amour petit cube de verre, et mène-les jusqu’à la rivière. Ils se baigneront nus face à face. Toutes les amirautés célestes battent pavillon à ton étoile.

Cependant mon vocabulaire est pauvre quand je parle aux femmes. Un moustique plane très haut au-dessus de moi et fait plus d’ombre qu’un vautour géant, toute ma personne en est noyée. C’est l’ombre qui m’entraîne aux souterrains avec des pressions de doigts engageants et qui, coupant ses cheveux attire sur mes pas les poux horribles dont les cadavres perdus en pleins champs sans gardien sentent la lancinante caresse et le baiser desséché, afin que, montant jusqu’à ma propre chevelure, ils ne me contraignent à devenir pour moi-même un féroce guerrier selon les usages traditionnels des ancas et des commanches.

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