Tout aurait-il existé déjà ?
Au pied de l’arbre, ce n’était qu’un ivrogne qui remuait au gré du vent. Son portrait est dans toutes les glaces, son esprit au fond de tous les verres. Est-ce une chose qui reste ? Il a été ivrogne et soulevé par la curiosité de visages anonymes et sans traits. De dos il ressemblait tellement à celui qui portait autrefois le même costume ! Ses idées et ses dents étaient fausses mais c’était lui qui soutenait l’arbre qui tremblait. Il criait—" je ne suis pas mort le monde est devant moi ". Et il s’en allait en promenade avec Monsieur Ledante. Son odeur obscurcissait le boulevard et faisait fléchir les roseaux qui avaient, déjà, envahi les terrasses.
Midi
Le caractère de l’homme se modifie. Il peut sourire. Il tendrait la main. Et il faut alors regagner les endroits où se tient le plus de monde—car là-haut personne ne donne. On entre en faisant du bruit.
Il griffonnait des rayons dans l’espace plus droits que ceux de la lune. Rayon de la lune, il se dressait, regardait tout le monde de haut et de travers avant de tomber sur un grabat, lit ou caisse sans ressorts, et ronflait en ajoutant à la nuit des mots qui s’exhalaient en vapeur d’alcool.
Chaque pas que nous faisons est plus qu’un voyage Nous n’avons pas besoin de nous presser
Ceux qui sont une source de mépris Ceux qui portent en eux la goutte d’éternité nécessaire à la vie
Ceux qui n’ont jamais connu leur mesure
En passant sur la route qui n’est recouverte que par le ciel baissent la tête
Des étoiles sont restées prises dans leurs cheveux
Une brûlure dans la tête
Et tout ce qui passe tourne en cavalcade où le métal résonne et s’enflamme
Rien qu’eux
La situation d’un homme devant un mur infini Sans aucune affiche La ligne des pieds et des yeux confondue
Il n’y a pas de limite Mais c’est là exactement que tout va se passer Quand on s’arrête sans le vouloir à la première gare La porte s’ouvre sur le vide C’est chaque fois un nouveau mystère Le rideau et la conscience tremblent
Qu’y a-t-il derrière La crainte nous laisse immobiles Nous n’en aurons plus
Sans discontinuer les arbres passent mêlés au bruit
Tous les oiseaux sont tombés avant qu’on ait entendu le moindre coup de feu Le même sortait de l’ombre Le boulevard comme une voie lactée Des réverbères à demi éteints
Des yeux réduits par la fatigue Tout s’était mis à clignoter
Sans qu’on puisse s’expliquer comment Seulement sa voix et sa démarche et la bascule des sens atteinte dans la nuit il avait senti tourner la terre sans avoir peur de la quitter
Les gouttières hérissées fuyaient les palissades derrière lesquelles se tramaient des complots
Un danseur maquillé sortait tout à coup et allumait
la rampe
Lui-mime
Les deux promeneurs commençaient à y voir plus clair
Et malgré la pluie qui tombait ils s’arrêtèrent La maison d’en face regardait de toutes ses fenêtres Le soleil les avait fondues en s’en allant et maintenant derrière la terre il souriait Tout allait éclater Les ombrelles et les platanes le long du trottoir s’arrondissaient
On balayait des nuages sous le lit On buvait dans la cave sans bruit Les ivrognes regardaient encore la lanterne Mais le bourdonnement de leurs oreilles avait tout compromis
Au coin de la rue près du chantier qui devait à jamais faire le coin un écriteau se balançait comme s’il avait dû tomber
Il fallait en passant lever la tête
Leçons de fiançais et d’arabe par M. X. Danseur russe Pour passer un moment ils entrèrent
Plus tard le premier se perfectionna dans la caricature traitée à l’huile
Le second dans la littérature traitée à la manière des grands écrivains Scandinaves
Les broderies de la robe à carreaux s’harmonisent avec les frises du salon
Si les trépidations s’atténuaient on pourrait se croire ailleurs mais les pneus ont sauté d’un seul coup en se déroulant et il ne reste plus que les rails attendant patiemment que le train passe
De petites rivières jaillissent Un homme en carton ne quitte pas la portière depuis le départ et ses yeux fixes son visage calme et sinistre effraient le garde-barrière qui arrête la route d’un seul coup de son drapeau
Quel étonnement de se retrouver un jour au point d’où l’on est parti
Ils s’entrechoquent encore sur le boulevard avec les mêmes effets vieillis
Ils sortent et entrent en même temps du même café Dans la porte qui tourne ce sont des écureuils
C’est le tintamarre de l’Univers qui les attire
La popularité restreinte Le brocanteur de la gloire De chaque côté le cornac des destinées de la dernière époque sous les galeries désertes de l’Odéon
Je t’ai donné un nom qui n’est pas le tien
Je t’appelle autrement et tu ne réponds pas tu ne comprends pas Pourquoi marches-tu Ce sont les jambes d’un autre qui te portent Je ne vois que l’ombre sur l’écran de la fenêtre Le contrevent s’est retourné pour baiser la nuit C’est une bouche plus dure qui sourit
Mais il n’y a pas que moi qui regarde le livre et celui qui le lit
Il remue
Puis tout disparaît
L’un des deux a absorbé l’autre
Dans le calme
Sans se douter du drame qui se passe dehors et si loin là-bas en regardant par la portière sans rien voir
Ni les yeux ni la lumière n’ont changé
Pourtant quelque chose change
A présent
La rampe qui descend ne mène plus au lavoir où les femmes se disputaient dès le réveil Là il n’y a plus rien et des bateaux passent sous l’arche du pont en repliant leurs ailes
On ne parle plus
Tout est encombré par le silence que notre situation malheureuse ne supporte pas
Ne regarde pas nous sommes au bout de la ligne et il faut descendre Il fait froid
Le feu se refroidit dans les glaces où il reste pris Mais sur tes joues quelle lumière Voici le moment de chanter
Sans t’occuper des larmes qui coulent dans ton ventre pour te désaltérer
Je regarde passer le monde et je m’ennuie
Il n’y a plus personne La ville s’est vidée d’un coup derrière les portes Il n’y a plus que mon sommeil
Et les deux ivrognes titubants que l’on emporte
Prose