Pierre de Ronsard

À sa guiterre

Ma guiterre, je te chante,
Par qui seule je deçoy,
Je deçoy, je romps, j’enchante
Les amours que je reçoy.
 
Nulle chose, tant soit douce,
Ne te sçauroit esgaler,
Toi qui mes ennuis repousse
Si tost qu’ils t’oyent parler.
 
Au son de ton harmonie
Je refreschy ma chaleur ;
Ardante en flamme infinie,
Naissant d’infini malheur.
 
Plus chèrement je te garde
Que je ne garde mes yeux,
Et ton fust que je regarde
Peint dessus en mille lieux,
 
Où le nom de ma déesse
En maint amoureux lien,
En mains laz d’amour se laisse,
Joindre en chiffre avec le mien ;
 
Où le beau Phebus, qui baigne
Dans le Loir son poil doré,
Du luth aux Muses enseigne
Dont elles m’ont honoré,
 
Son laurier preste l’oreille,
Si qu’au premier vent qui vient,
De reciter s’apareille
Ce que par cœur il retient.
 
Icy les forests compagnes
Orphée attire, et les vents,
Et les voisines campagnes,
Ombrage de bois suivants.
 
Là est Ide la branchue,
Où l’oiseau de Jupiter
Dedans sa griffe crochue
Vient Ganymede empieter,
 
Ganymede délectable,
Chasserot délicieux,
Qui ores sert à la table
D’un bel échanson aux Dieux.
 
Ses chiens après l’aigle aboient,
Et ses gouverneurs aussi,
En vain étonnez, le voient
Par l’air emporter ainsi.
 
Tu es des dames pensives
L’instrument approprié,
Et des jeunesses lascives
Pour les amours dédié.
 
Les amours, c’est ton office,
Non pas les assaus cruels,
Mais le joyeux exercice
De souspirs continuels.
 
Encore qu’au temps d’Horace
Les armes de tous costez
Sonnassent par la menace
Des Cantabres indomtez,
 
Et que le Romain empire
Foullé des Parthes fust tant,
Si n’a-il point à sa lyre
Bellonne accordé pourtant,
 
Mais bien Venus la riante,
Ou son fils plein de rigueur,
Ou bien Lalagé fuyante
Davant avecques son cœur.
 
Quand sur toy je chanteroye
D’Hector les combas divers,
Et ce qui fut fait à Troye
Par les Grecs en DIX hyvers,
 
Cela ne peut satisfaire
A l’amour qui tant me mord :
Que peut Hector pour moy faire ?
Que peut Ajax, qui est mort ?
 
Mieux vaut donc de ma maistresse
Chanter les beautez, afin
Qu’à la douleur qui me presse
Daigne mettre heureuse fin ;
 
Ces yeux autour desquels semble
Qu’amour vole, ou que dedans
II se cache, ou qu’il assemble
Cent traits pour les regardants.
 
Chantons donc sa chevelure,
De laquelle Amour vainqueur
Noua mille rets à l’heure
Qu’il m’encordela le cœur,
 
Et son sein, rose naïve,
Qui va et vient tout ainsi
Que font deux flots à leur rive
Poussez d’un vent adoucy.

Poésies diverses (1587)

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