Paul Verlaine

Tu bois, c’est hideux presque autant que moi

 
Tu bois, c’est hideux ! presque autant que moi.
Je bois, c’est honteux, presque plus que toi,
Ce n’est plus ce qu’on appelle une vie...
Ah ! la femme, fol, fol est qui s’y fie !
 
Les hommes, bravo ! c’est fier et soumis,
On peut s’y fier, voilà des amis !
Nous buvons, mais, vous mesdames, l’ivresse
Vous va moins qu’à nous,—te change en tigresse.
 
Moi tout au plus en un simple cochon ;
Quelque idéal sot dans mon cabochon,
Quelque bêtise en sus, quelque sottise
En outre,—mais toi, la fainéantise,
 
La méchanceté, l’obstination,
Un peu le vice et beaucoup l’option,
Pour être plus folle, sur ma parole !
Que ma folie à moi déjà si folle.
 
Ces réflexions me coûtent beaucoup,
Mais ce soir je suis d’une humeur de loup.
Excuse, si mon discours va si rogue,
Mais ce soir je suis d’une humeur de dogue.
 
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
 
Bah ! buvons pas trop (s’il nous est possible),
Ma bouche est un trou, la tienne est un crible.
Dieu saura bien reconnaître les siens.
Morale : surtout baisons-nous—et viens !

"Chansons pour elle (1891)"

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