Paul Verlaine

Toutes les amours de la terre

 
Toutes les amours de la terre
Laissant au cœur du délétère
Et de l’affreusement amer,
Fraternelles et conjugales,
Paternelles et filiales,
Civiques et nationales.
Les charnelles, les idéales.
Toutes ont la guêpe et le ver.
 
La mort prend ton père et ta mère,
Ton frère trahira son frère,
Ta femme flaire un autre époux.
Ton enfant, on te l’aliène,
Ton peuple, il se pille ou s’enchaîne
Et l’étranger y pond sa haine.
Ta chair s’irrite et tourne obscène,
Ton âme flue en rêves fous.
 
Mais, dit Jésus, aime, n’importe !
Puis de toute illusion morte
Fais un cortège, forme un chœur,
Va devant, tel aux champs le pâtre,
Tel le coryphée au théâtre,
Tel le vrai prêtre ou l’idolâtre,
Tels les grands-parents près de l’âtre,
Oui, que devant aille ton cœur !
 
Et que toutes ces voix dolentes
S’élèvent rapides ou lentes,
Aigres ou douces, composant
À la gloire de Ma souffrance
Instrument de ta délivrance,
Condiment de ton espérance
Et mets de ta propre navrance.
L’hymne qui te sied à présent !

"Sagesse (1881)"

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