Paul Verlaine

Noël

Petit Jésus qu’il nous faut être,
Si nous voulons voir Dieu le Père,
Accordez-nous d’alors renaître
 
En purs bébés, nus, sans repaire
Qu’une étable, et sans compagnie
Qu’une âne et qu’un bœuf, humble paire ;
 
D’avoir l’ignorance infinie
Et l’immense toute-faiblesse
Par quoi l’humble enfance est bénie ;
 
De n’agir sans qu’un rien ne blesse
Notre chair pourtant innocente
Encor même d’une caresse,
 
Sans que notre œil chétif ne sente
Douloureusement l’éclat même
De l’aube à peine pâlissante,
 
Du soir venant, lueur suprême,
Sans éprouver aucune envie
Que d’un long sommeil tiède et blême...
 
En purs bébés que l’âpre vie
Destine,—pour quel but sévère
Ou bienheureux ?—foule asservie
 
Ou troupe libre, à quel calvaire ?

"Liturgies intimes (1892)"

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