Louise Colet

Une matinée.

Une heure douce est rare ; il nous la faut compter
Lorsque sur notre vie elle vient s’arrêter ;
Ce matin, près de vous, cette heure m’est venue
Le soleil se baignait dans une blanche nue,
Et du jardin claustral où nous étions assis
Ses rayons onduleux doraient les murs noircis ;
Les vieux arbres, trempés dans ce feu qui ruisselle,
A chaque feuille verte avaient une étincelle,
Et leur ombre jetait sur l’herbe et sur les fleurs
Les chatoyants reflets d’indicibles couleurs.
Les insectes jouaient dans la lumière molle,
De la mauve sauvage épuisaient la corolle,
Puis se réunissant en léger tourbillon,
Poursuivaient dans l’éther un mobile rayon.
Un air frais tempérait ce jour chaud de l’automne,
Et courbait sur nos fronts le feuillage en couronne ;
De la terre un parfum vivifiant et doux
En montant vers les cieux se répandait sur nous :
Nous rêvions tous les deux ; notre âme recueillie
S’enivrait de silence et de mélancolie.
Pour tout bruit, dans ces murs, parvenaient tour à tour
Des voix fraîches d’enfants qui jouaient à l’en tour,
Ou les sons de l’airain qui de l’église proche
Comme une voix de Dieu faisaient vibrer la cloche.
Mon cœur a tressailli sous ce glas d’un mourant,
Et je vous ai parlé de ma mère en pleurant ;
Ma mère, providence à mon âme ravie,
Mais qui du haut du ciel veille encore sur ma vie.
 
Dans votre âme un écho se réveillait alors,
Car votre mère aussi repose au champ des morts ;
Votre pieuse main a fermé sa paupière,
Puis vous avez scellé son cercueil sous la pierre,
Et vous avez senti tous les déchirements
Qui torturent le cœur en de pareils moments.
Ces tristes souvenirs ont sur votre parole
Répandu tout à coup l’onction qui console,
Et lorsque de mes yeux une larme a jailli,
A cet appel du cœur vous n’avez point failli.
Vous avez pris ma main, et, d’une voix émue :
« Oh ! ne maudissons pas un malheur qui remue,
Qui déchire notre âme et la retrempe aussi !
Ah ! ne nous plaignons pas d’avoir souffert ainsi !
M’avez-vous dit... la vie est pour nous seuls complète ;
Tout vibre dans un cœur d’artiste et de poète ;
Foyer de sentiments que nous savons garder,
La joie et le malheur viennent nous féconder ;
Nos jours d’enivrement ou d’angoisse poignante
Valent mieux qu’une vie insensible et stagnante ;
Oh ! n’enviez jamais ceux qui ne sentent rien !
Auprès de leur repos la douleur est un bien ;
Faites rentrer l’orgueil dans votre âme abattue ;
Le malheur rend plus fort, mais l’abattement tue ;
Par une illusion dissipez la torpeur ;
Assignez-vous un but, grand, idéal, trompeur,
Qu’importe ! être trompé vaut mieux que ne pas croire ;
Croyez en vous, croyez à l’amour, à la gloire ;
La foi rend plus heureux que l’incrédulité,
Et toute illusion peut-être est vérité !
 
Il est des sentiments qui repoussent le doute,
Des voix qu’à son insu l’esprit athée écoute ;
Lu espoir qui renaît alors qu’il est déçu,
C’est de trouver un cœur pour notre cœur conçu,
Qui traîne dans la vie une chaîne semblable
A celle dont le poids nous ronge et nous accable,
Et qui sent tout à coup son fardeau s’alléger
En devinant qu’un autre a su le partager ! »
 
En nous parlant ainsi l’heure s’est écoulée,
Pure comme la nue aux Ilots du ciel mêlée ;
Dans les épanchements d’un intime entretien
J’ai compris votre cœur, vous avez vu le mien,
Sans qu’un coupable mot, un mot dont l’âme pleure,
Ait altéré pour moi le charme de cette heure.
 
Oh ! je n’oublierai pas ce jour plein de douceur
Où vous m’avez parlé comme un frère à sa sœur !
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