Louise Colet

Chant de consolation.

Oh ! souffrir et pleurer, c’est ce qui régénère :
L’homme n’est vraiment grand qu’alors qu’il a gémi ;
Quelque soit ton malheur, mon âme le vénère ;
Pour moi, l’infortuné fut toujours un ami.
 
Si j’avais une voix de séraphin, pareille
A celle qui de Job adoucissait les maux,
Sur ta couche de deuil, penchée à ton oreille,
J’irais, quand tu gémis, te murmurer ces mots !
 
Au creuset des douleurs épure toi, jeune homme ;
Fuis le monde, au désert emporte ton chagrin ;
Et là, prie en pleurant, comme faisait Jérôme,
Et tu verras pour toi s’ouvrir un ciel d’airain.
 
Qu’importe l’ironie ! il faut qu’ils te dédaignent,
 
Ceux qui venaient jadis t’enivrer de leurs jeux :
Cache leur le vautour dont les serres t’étreignent ;
Contre l’adversité sois fort et courageux !
 
Au regard de la foule, insouciante et gaie,
Qui profane la vie, et te raille en passant,
Mendiant sa pitié, n’étale point ta plaie ;
Elle resterait froide à tes larmes de sang.
 
Ou bien, si devant toi s’arrêtait l’insensée ;
Elle te dirait : « Viens, le plaisir dure encore,
Viens ! c’est comme autrefois, la fête est commencée,
Nous avons de l’amour, de l’ivresse, de l’or !
 
Viens ! c’est assez verser des pleurs sur une morte ;
Son trépas t’a sauvé d’un futur abandon ;
Ses charmes ne sont plus que poussière : et qu’importe
Son âme !... à ce mot vide, enfant, croirais-tu donc ?
 
Quoi ! pour te consoler, n’est-il pas d’autres femmes !
Priant sur un tombeau, tu languis, tu te meurs,
Viens !!! » Et pour t’entraîner à leurs plaisirs infâmes,
Ils t’entoureraient tous d’ironiques clameurs.
 
Ils flétriraient ta foi, ton noble enthousiasme,
Tes touchants souvenirs, tes images de deuil ;
Tes pleurs se tariraient sous leur mordant sarcasme,
Et tu prostituerais ton âme à ton orgueil.
 
Car bientôt, n’osant pas déserter leur bannière,
Toi-même, te raillant de ta propre douleur,
Tu perdrais, à jamais, cette pudeur dernière
Qu’éveille encore en nous l’aiguillon du malheur.
 
Sans regret, sans espoir, tu poursuivrais ta roule ;
Et souriant parfois d’un rire de démon.
Tu dirais, n’ayant plus d’autre Dieu que le doute :
Infortune, bonheur, vous n’êtes qu’un vain nom !
 
Ah ! fuis l’impur contact de ces cœurs froids et vides ;
Dis à la foule athée un dédaigneux adieu :
Aujourd’hui, ce n’est plus qu’au fond des Thébaïdes,
Qu’on retrempe son âme, et qu’on retrouve Dieu.
 
Aux bords où tu naquis, sur les rives sauvages
Que le vaste Océan embrasse de ses flots,
Va chercher un asile, où la voix des orages,
Comme une voix d’ami, se mêle à tes sanglots.
 
Là, tu pourras gémir sans que l’on te bafoue,
Sans qu’un mot d’ironie, un regard de dédain,
Lorsque des pleurs brulants jailliront sur la joue,
Comme un souffle glacé les arrêtent soudain.
 
Quand ton âme est en proie à son ardente fièvre,
Quand l’affreux cauchemar sur ton sein vient s’asseoir,
Et qu’un spectre de femme, en effleurant ta lèvre,
T’arrache, dans la nuit, des cris de désespoir :
 
Là, tu pourras vouer un culte à la mémoire
De cette ombre chérie attachée à tes pas :
A l’immortalité l’amour te fera croire,
Tu verras l’espérance au-delà du trépas.
 
Et tu voudras prier : car, lorsqu’on prie, il semble,
Que ceux qui ne sont plus nous entendent encore :
Les êtres qui s’aimaient communiquent ensemble,
Et vont se réunir par un mystique essor.
 
La prière, montant à Dieu dont elle émane,
Des ombres d’ici-bas fend les voiles épais :
Elle nourrit les cœurs d’une céleste manne ;
Après de longs combats, elle donne la paix.
 
Le vois-tu ce martyr de la liberté sainte,
Qu’une double auréole attend dans l’avenir,
Victime résignée, il n’a pas une plainte,
Et sa voix dans les fers s’élève pour bénir.
 
Ah ! c’est qu’il a prié, c’est que son âme ardente
De nos rêves d’un jour a compris le néant,
Et que volant au ciel d’une aile indépendante,
Il a vu l’univers avec un œil géant !...
 
Emprunte à Sylvio ce sublime idiome,
Qui rend au cœur flétri sa première fraîcheur,
Et sous l’adversité tu renaitras, jeune homme,
Comme l’herbe renaît sous le fer du faucheur.
 
N’hésite pas, choisis cette dernière voie ;
La foi rallumera tes désirs presque éteints :
Réalise le vœu que mon âme t’envoie ;
Je ne te connais pas, et pourtant je te plains.
 
Car, tes accents d’angoisse, on me les a fait lire ;
On m’a dit : ce poète a besoin de pitié.
Arrache quelque son sympathique à ta lyre,
Tendre comme l’amour, pur comme l’amitié.
 
Dieu m’inspira pour toi l’hymne qui purifie,
Et, j’ai dit à ce chant, qu’une larme a mouillé :
Va consolant celui que le malheur défie :
Lui rappeler les biens dont il s’est dépouillé.
 
Les jours où, s’élançant vers un monde céleste.
Il rêvait, pour aimer, un séraphique Eden ;
Où la femme était belle, ingénue et modeste,
Et s’unissait à lui d’un éternel hymen :
 
Cette fille du ciel, par ton âme rêvée,
Dans le monde, à tes yeux ne pouvait pas s’offrir :
Au milieu des plaisirs tu ne l’as pas trouvée :
Tu ne l’as pas trouvée, et tu voudrais mourir !...
 
Ah ! Cherche-la toujours avec sollicitude.
Cette vierge pudique, au regard calme et doux ?
Blanche fleur du désert, qui dans la solitude,
Attend l’être inconnu qui sera son époux.
 
Réponds à ces désirs que sa pudeur te cache ;
Par un charme secret tu la devineras :
Laisse voler ton âme à son âme sans tache,
Accepte son amour, puis tu la béniras.
 
Et vos cœurs, à jamais, se mêleront ensemble ;
Le sien, pur, virginal ; et le tien, ravagé ;
Ainsi que deux nochers que l’amitié rassemble,
L’un, jeune matelot ; l’autre, vieux naufragé.
 
J’espérais ! mais, ma voix ne se fit point entendre ;
Aux rêves de bonheur, il avait dit adieu...
Cet amour, sur la terre, il ne sut pas l’attendre,
Et, pour le retrouver, il s’envola vers Dieu !

Fleurs du midi (1836)

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