Louise Colet

Penserosa.

Le marbre le plus pur créé par Michel-Ange
Est un jeune guerrier triste et beau comme un ange ;
L’artiste l’a sculpté languissamment assis
A l’angle du tombeau de l’un des Médicis ;
Il rêve, il est empreint d’une vague souffrance :
C’est le génie en deuil de la belle Florence
Qui revit immortel sous ce puissant ciseau,
Et que le peuple ému nomma Penseroso !
Ce marbre est devenu pour toute l’Italie
Le symbole sacré de la mélancolie :
Penseroso, c’est l’ange aux sublimes douleurs,
Qui sent fléchir son âme et qui retient ses pleurs ;
C’est le divin patron devant lequel s’arrête
L’artiste voyageur, le pèlerin poète ;
C’est l’idéal aimé de tout cœur qui souffrit.
Emblème dont Milton a deviné l’esprit.
Quand, poète sans nom, il quitta l’Angleterre,
Et passa dans Florence, ignoré, solitaire ;
Le soir il s’asseyait en face du tombeau,
Il souriait en frère à ce marbre si beau :
Son douloureux génie et son âme abattue
Semblaient se refléter dans la blanche statue ;
Les luttes de l’esprit qui le faisaient rêver,
Sur ce front Michel-Ange avait su les graver
Pour donner à son œuvre une empreinte aussi triste.
Autant que le poète avait souffert l’artiste ;
Et Milton, inspiré par ce marbre touchant,
Fit sur Penseroso son plus sublime chant.
 
Michel-Ange et Milton, la forme et la parole,
Ont de Penseroso consacré le symbole.
 
Un soir, vous me contiez cette histoire de l’art,
Et je vous écoutais de l’âme et du regard ;
Demeurant près de vous, dans la molle attitude
Où me berce la Muse aux jours de solitude,
Je rêvais... Sur ma main ma tête se posa ;
Vous me dites alors : « Siete Penserosa !
De ce marbre inspiré l’image se reflète
Sur votre jeune front de femme et de poète ;
Vous avez son air triste et son regard penseur,
Et Michel-Ange en vous eût reconnu sa sœur ! »
 
Penserosa ! Ce nom, poétique baptême,
De mes chants douloureux est devenu l’emblème ;
Il les révélera, comme un accent plaintif
Parfois révèle une âme au monde inattentif.
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