Louise Colet

Paris.

Quand je vais triste et seule, et que, dans le ciel gris,
Je suis quelque nuage errant sur les toitures,
Et, comme ces draps noirs qu’on met aux sépultures,
Couvrant des boulevards les arbres rabougris ;
Lorsqu’au bourdonnement de ce chaos qui passe,
De ce peuple encombrant l’horizon et l’espace ;
De ces milliers de bruits dans l’air se confondant
Comme un cri de blasphème immense et discordant,
Je marche, et que ma vue est tristement frappée
Par cette Babylone à la vie occupée,
A la vie où la chair est tout et l’esprit rien,
Où le mal triomphant aux pieds foule le bien,
Où la plèbe se rue au plaisir qui l’appelle,
Où jouir est le mot que toute langue épelle,
Où les hommes parqués comme de vils troupeaux,
Vont dévorant leurs jours sans bonheur ni repos,
Quand toutes ces maisons où la lumière monte
Se pavanent le soir pour le crime ou la honte,
Et que la poésie en sa virginité
En voit sortir fardé, par l’art ou la beauté,
Le vice... saltimbanque immonde qui s’étale
Et vend tout pour de l’or dans cette capitale ;
Alors, ce faux Paris, ce Paris idéal,
Que je rêvais si grand sous mon beau ciel natal,
Se dissout à mes yeux comme un trompeur mirage ;
Et le Paris réel accable mon courage.
Craintive, je voudrais, m’enfuyant au désert,
Sortir de cet abîme où j’ai longtemps souffert ;
Je voudrais, nivelant tous ces amas de pierres,
Sur la mer, sur le ciel, reporter mes paupières,
Loin de ces lieux impurs, qu’on dit civilisés,
Sentir le souffle frais de nos vents alizés
Glisser dans mes cheveux, dilater ma poitrine,
M’empreindre des parfums de la vague marine...
Je voudrais m’élancer ainsi qu’un jeune faon,
Libre, sur les rochers où je bondis enfant.
 
Puis, lorsque sous mon toit rêvant ainsi je rentre,
Et que, près du foyer mon âme se concentre,
Je pleure en me disant que je ne pourrais plus
Séparer mon cœur pur de ces cœurs dissolus ;
Que l’art, la poésie, et les splendeurs que j’aime,
Se retrouvent au fond de cette fange même,
Qu’il faut, pour en tirer quelques parcelles d’or,
Dans cet abîme impur longtemps plonger encore ;
Que tout génie humain acceptant ce mélange,
A, sur ce sol ardent, brûlé ses ailes d’ange,
Et que, pour satisfaire un rêve de l’orgueil,
Je dois fendre la mer sans regarder recueil.
 
Et pourtant je le sens, ce cœur qui s’interroge
Repousserait l’encens et l’éclat de l’éloge,
S’il pouvait retrouver cet amour maternel,
Amour qui vient des cieux, amour seul éternel,
Amour que j’ai perdu, qui me manque à toute heure,
Qui prendrait la moitié des tourments dont je pleure,
Amour actif et saint qui veillerait sur moi,
Quand au bord du volcan je marche avec effroi !
Oh ! que je fus coupable et que je suis punie !
Mon Dieu ! j’avais ma mère, et vous m’aviez bénie
De son amour profond, et je n’ai bien compris
Qu’après l’avoir perdu quel en était le prix.
Pour l’arracher une heure au marbre de la tombe,
Mon Dieu, que de mon front toute couronne tombe,
Que ces biens qu’appelait mon désir insensé
S’éloignent pour toujours, mon cœur en est lassé ;
Que ces rêves d’orgueil que la jeunesse couve
S’éteignent dans mon sein, mais que je la retrouve !
 
Oh ! que je sente encore se poser sur mon front
Ces baisers maternels qui le rafraîchiront !
Que je l’entende enfin, cette voix d’une amie,
Pour moi depuis trois ans étouffée, endormie !
Une heure, une heure encore que je puisse la voir,
Tendre vers moi ses bras prêts à me recevoir,
Et je m’y jetterai !... Puis, nous irons ensemble
Dans le champ qu’elle aimait et qu’ombrage le tremble,
Au bout de l’aqueduc, où la source à couvert
Dérobe ses flots purs sous le feuillage vert ;
Où l’aubépine en fleurs s’étend comme un blanc voile,
Où le trèfle naissant de boutons d’or s’étoile ;
Puis, nous irons cueillir aux branches des pommiers,
Les fruits que le soleil a mûris les premiers.
Nous irons secourir aux moissons, aux vendanges,
Les pauvres qui diront : « Ces femmes sont des anges. »
Et j’oublierai le monde, attachée à ses pas,
Le monde qui distrait du bonheur qu’on n’a pas.
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