Louise Colet

Le désert.

Le désert ! le désert dans son immensité,
Avec sa grande voix, sa sauvage beauté ;
Ses pics touchant les deux, ses savanes, ses ondes,
Cataractes roulant sous des forêts profondes ;
Ses mille bruits, ses cris, ses sourds rugissements,
Gigantesque concert de tous les éléments !
 
Le désert ! le désert ! quand l’aube orientale
Se lève, et fait briller les trésors qu’il étale :
Quand du magnolia le bouton parfumé
S’ouvre sous les baisers de quelque insecte aimé ;
Quand la liane en fleurs, odorant labyrinthe,
Enlace le palmier d’une amoureuse étreinte ;
Et que, s’éjouissant sous ces légers lambris,
Escarboucles vivants chantent les colibris !
 
Le désert d’Amérique avec toutes ses grâces,
Lorsque d’aucun mortel il ne gardait les traces,
Et qu’avec ses grands bois, ses eaux, ses mines d’or
Aux regards de Colomb il s’offrit vierge encore.
 
Ah ! qui ne la rêva cette belle nature ;
Qui n’eût voulu quitter ce monde d’imposture,
Ce monde où tout grand cœur finit par s’avilir,
Pour courir au désert, vivant, s’ensevelir ?
Pour chercher dans l’Éden de Paul et Virginie
L’ineffable bonheur que la terre dénie,
Vœu de paix et d’amour par chaque cœur conçu,
Et qui s’évanouit, hélas ! toujours déçu !
 
       Voilà souvent quel est mon rêve
       Dans ces instants d’ennui profond.
       Où le désespoir comme un glaive
       Reste suspendu sur mon front.
 
       Le désert, le désert m’appelle,
       Pourquoi ces chaînes à mes pas ?
       Oiseaux voyageurs, sur votre aile
       Pourquoi ne m’emportez-vous pas ?
 
       Il faut à mon âme engourdie
       Un nouveau monde à parcourir ;
       Il faut une sphère agrandie
       Au poète qui va mourir !...

Fleurs du midi (1836)

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