Louise Colet

La mort de mon père.

Je crois revoir encore la couche d’agonie,
Où mon père mourut vieillard aux cheveux blancs,
Au front large et ridé, symbole de génie,
               Aux yeux étincelants.
 
Comme un bûcher fumant, dont on éteint la flamme,
Jette, avant d’expirer, tous ses rayons épars,
Ainsi, près de mourir, tous les feux de son âme
               Brillaient dans ses regards.
 
Il avait trop compté sur sa frêle existence ;
De la fortune adverse il vainquit la constance
               Par de trop grands efforts :
Et quand il s’asseyait, fatigué du voyage,
Qu’il demandait à Dieu le calme après l’orage,
Il mourut ! La pensée avait usé son corps,
Comme l’onde qui bout brise un vase d’argile,
Ou comme dans nos mains éclate un luth fragile
               Sous de trop vifs accords !
 
Mourir près du bonheur ! Mourir, quand on arrive,
A la réalité dont on croyait jouir !
Voir, lorsque notre esquif allait toucher la rive,
               Le port s’évanouir !...
 
Entendre les sanglots de ses enfants qu’on aime,
En leur tendant les bras, dire un dernier adieu ;
C’est à faire douter de l’espérance même
               Qui nous parle de Dieu !
 
Oh ! Qui ne saura jamais la lutte intérieure,
Qui se livre dans l’homme à cette dernière heure,
Alors qu’il voit passer, sous son regard mourant,
Tout ce qu’il chérissait, tout ce qu’il croyait grand ;
Et que de tous ces biens, dont l’éclat s’évapore,
Il voudrait vainement se ressaisir encore !...
Dans cette heure d’angoisse, oh ! Qui sait si la foi,
De l’horreur du trépas peut adoucir l’effroi !
Et si l’âme, arrivée à la fin de sa route,
Ne défaillira pas en combattant le doute ?
 
Ce choc, de senti mens qui déchirent le cœur.
Mon père le subit, mais il en fut vainqueur.
Quand un prêtre pieux eut sur sa vie entière,
Prononcé le pardon qu’accordait l’Éternel.
On eût dit que l’esprit, dépouillant la matière,
               Entrevoyait le ciel.
 
Ses yeux avec amour contemplaient le ciboire,
Sur le saint crucifix ses deux mains se croisaient ;
Il était pâle alors comme le Christ d’ivoire,
               Que ses lèvres baisaient.
 
Mais quand il eut reçu le Dieu qui désaltère,
A la vie un instant son corps se ranima :
Il bénit ses enfants, qu’il laissait sur la terre,
               Et tous ceux qu’il aima.
 
Puis au moment suprême où la parole expire,
Où l’âme se recueille en sa sainte ferveur,
Exprimant son espoir par un divin sourire,
Il sembla s’endormir dans les bras du Sauveur !

Fleurs du midi (1836)

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