Louise Colet

L’abandon.

Vous en souvenez-vous de ces heures passées
L’une à côté de l’autre, où toutes nos pensées
Sans crainte, sans soupçon, s’échangeaient entre nous ?
L’amitié, disions-nous, est une douce chose ;
Heureux qui trouve un cœur où son cœur se repose !...
             Vous en souvenez-vous ?
 
Nous parlions de vertu, d’amour, de poésie,
De tout ce qui fait l’âme, et dont l’âme est saisie :
J’aimais à prolonger ces entretiens si doux ;
Et souvent près de vous attentive, inclinée,
Je vis passer ainsi la rapide journée...
             Vous en souvenez-vous ?
 
Oui, j’avais mis en vous toute ma confiance ;
A l’œil désenchanté de votre expérience
Je dévoilais les vœux dont mon cœur fut jaloux ;
Par l’ardeur de ma foi je vous forçais à croire
A mes rêves d’amour, à mes rêves de gloire...
             Vous en souvenez-vous ?
 
Et quand vint ma douleur, profonde, déchirante.
Je vous dis en pleurant que ma mère mourante
Pour appui m’indiquait votre cœur entre tous ;
Je vous dis que mon âme ardente restant vide,
Il lui fallait l’amour dont elle était avide...
             Vous en souvenez-vous ?
 
Eh bien ! quand cet amour vint s’offrir à ma vie ;
Lorsque je l’acceptais, orgueilleuse et ravie ;
Quand je remerciais le ciel de ce bienfait...
Vous, vous m’abandonniez ! Votre amitié parjure
Jetait à mon bonheur le dédain et l’injure ;
             Que vous avais-je fait ?
 
De celui qui m’aimait votre langue méchante
A voulu m’arracher la tendresse touchante ;
Inspirant le soupçon à son cœur satisfait
Par les faux arguments d’une morale altière,
Vous l’avez torturé durant une heure entière :
             Que vous avais-je fait ?
 
Que vous avais-je fait pour profaner mon âme ?
Vous savez qu’elle est pure, et vous osez, madame,
Traiter un chaste amour comme on traite un forfait ;
Si vous avez souffert, si vous fûtes trahie,
Est-ce ma faute, à moi ?... Quand vous m’avez haïe,
             Que vous avais-je fait ?
 
Dieu nous juge ; et peut-être un jour rendrez-vous compte
De cette inimitié si cruelle et si prompte ;
Votre haine sans cause est aussi sans effet ;
Je suis heureuse et calme, et mon cœur vous pardonne ;
Mais, je ne voudrais pas avoir fait à personne
             Ce que vous m’avez fait ?

Fleurs du midi (1836)

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