Louise Colet

Illusions.

Souvent je m’élançais dans ces champs sans limite,
Où l’homme croit trouver le réel qu’il imite,
Dans des songes heureux qui, par l’espoir conçus,
Brillent sur nos beaux jours, puis s’éteignent déçus ;
J’avais édifié le monument fragile
D’un terrestre bonheur, qu’on bâtit sur l’argile ;
Que de félicité mon cœur s’était promis !
Mes désirs ont passé sous tes regards amis !
Déjà tu sais comment, dans mes jours, dans mes veilles,
De la création j’évoquais les merveilles,
Comment, je parcourus, d’un avide regard,
Les ouvrages de Dieu, du génie et de l’art,
Mais mon âme de feu, qu’alimentait l’étude,
En grandissant toujours, comprit sa solitude,
La tristesse et la joie ont besoin d’un ami,
Et, dans l’isolement, on ne sent qu’à demi ;
Quand, de tous mes désirs, la coupe fut vidée,
Quand j’eus bien savouré l’existence, en idée,
Quand j’eus vu l’univers, quand, des hommes fameux,
J’eus contemplé la gloire et triomphé comme eux,
Quand il ne resta pas une image profonde,
Qui n’eût frappé mon âme errante, dans le monde,
Pas un grand sentiment que je n’eusse éprouvé.
Pas un bien idéal que je n’eusse rêvé ;
Alors, pour animer ces ferriques mensonges,
Je sentis qu’il manquait quelque chose à mes songes :
C’était l’amour !... C’était l’ineffable lien,
Qui me fera trouver un cœur écho du mien :
Un cœur sublime et bon, qui m’entende et qui m’aime ;
Un être qui devienne une ombre de moi-même,
Qui pense mes pensers, qui vive de mes jours ;
Où tous mes sentiments se reflètent toujours :
Que le monde n’ait pas flétri ; qui sache croire
A toutes les vertus, au génie, à la gloire,
A la religion ; et dont l’âme de feu
Se confonde à la mienne, et soit au même Dieu !
 
D’abord mon âme calme, à l’amour endormie,
Aurait voulu trouver ce cœur dans une amie.
Qui, partageant mes goûts, mes plaisirs, mes douleurs.
Eût des chants pour ma joie, et des pleurs pour mes pleurs.
Que de fois j’ai rêvé ces douces alliances.
De deux vierges mêlant leurs chastes consciences,
Et se montrant à nu leurs vœux les plus secrets,
Et leurs désirs naissants, si candides, si frais !
Mais dans mon sein bientôt la pensée agrandie.
Fit aux tièdes chaleurs succéder l’incendie :
Quand le besoin d’aimer en moi se révéla,
En cherchant l’amitié, je sentis au-delà :
Les tableaux enivrants, les touchantes peintures,
Récits passionnés, magiques impostures,
Qu’un poète inspiré déroulait devant moi,
Eveillaient mon désir, ma douleur, mon effroi.
S’il avait, pour mon âme, une âme dans son livre ;
Alors, je m’enivrais d’amour, comme on s’enivre
A quinze ans, quand le cœur n’a pas encore saigné :
Et que par l’espérance on marche accompagné.
 
Oh ! qui saura jamais les amours idéales,
Qui venaient me bercer dans mes nuits ? Virginales !
Chaque nom jaillissant, de gloire couronné,
Chaque malheur pompeux, adroitement orné,
Chaque histoire du cœur, triste, brûlante et vive,
Enflammaient, tour à tour, ma tendresse naïve.
A nos bardes fameux, à nos grands écrivains,
Je prêtais les vertus de leurs écrits divins :
Et lorsque, pour glacer mon noble enthousiasme,
On osait devant moi leur jeter le sarcasme,
Tout mon sang bouillonnait ; je m’irritais soudain ;
J’aurais voulu punir l’auteur de ce dédain :
Comme on venge un ami, je prenais leur défense ;
Car, c’était à mon cœur que s’adressait l’offense.
Si quelque artiste errant qui les avait connus,
Dans le monde s’offrait à mes yeux ingénus,
J’allais l’interroger, curieuse, importune :
Je voulais tout savoir, leur pays, leur fortune,
Et, j’en parlais longtemps au voyageur surpris,
Comme on aime à parler de ceux qu’on a chéris.

Fleurs du midi (1836)

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