Louise Colet

Heureux qui voit la mort.

   Heureux qui voit la mort et qui peut l’oublier !
Heureux qui n’a jamais senti son cœur plier,
En voulant pénétrer le déchirant mystère,
Que le cercueil dérobe aux enfants de la terre !
 
   Moi, je cherchai longtemps l’énigme du tombeau,
Elle fit de mes jours vaciller le flambeau !
Mais pour me consoler, j’avais encore ma mère,
Sa tendresse adoucit cette douleur amère,
Puis, dans mon sein ému, je sentais chaque jour,
S’amasser tant de vie et d’éléments d’amour,
Qu’à la destruction je ne pouvais pas croire,
Le fiel restait au fond du vase où j’allais boire,
J’implorais, étreignant le monde d’un désir,
Une heure du bonheur que je voudrais saisir !
Une heure sans mélange, une heure enchanteresse,
Où de l’éternité se résumât l’ivresse !
 
   Lorsque, pour éloigner l’image du trépas,
Tous mes songes lointains ne me suffisaient pas,
J’avais auprès de moi d’intimes poésies,
Caprices passagers, subtiles fantaisies,
Qu’un instant fait éclore et qu’un instant détruit,
Comme ces feux follets qui brillent dans la nuit !
Oh ! ces impressions des choses éphémères,
Qui changent tour à tour nos pensers, nos chimères,
Qui captivent nos sens et qui nous font rêver.
Pour pouvoir les comprendre, il faut les éprouver ;
Produites au hasard, c’est un rien qui les cause,
C’est une bulle d’air, un insecte, une rose,
Le nid de la fourmi, la trace d’un ciron,
Une feuille tombant dans l’eau, qui forme un rond ;
C’est un nuage errant, tout peuplé de fantômes,
Un rayon de soleil, où dansent les atomes :
C’est le feu qui pétille à l’âtre du foyer,
Où l’on voit à son gré mille objets flamboyer ;
C’est la pâle lueur d’une lampe lointaine,
Le jet aérien d’une claire fontaine,
C’est, dans l’azur du ciel, l’oiseau qui prend son vol,
L’ombre d’un peuplier qui se dessine au sol,
C’est la nuit, reflétant ses millions d’étoiles
Sur les monts que la neige a couvert de ses voiles ;
C’est le souffle odorant du zéphyr matinal,
C’est, des fleurs et des fruits le duvet virginal,
C’est le lichen qui flotte à la pierre gothique,
C’est... oh ! c’est l’infini d’un monde fantastique,
Dont le charme, la grâce, et la suavité
Fascinent le regard du poète enchanté !
 
   Lorsque la Muse antique, altière et grandiose,
Daigne quitter l’Olympe, où son esprit repose,
Dans le palais des rois, abaissant son essor,
Elle chante ses vers sur une lyre d’or.
Il faut pour l’inspirer une foule choisie,
Des banquets somptueux, des coupes d’ambroisie :
Mais sa modeste sœur, Follet, Sylphe, ou Lutin,
Se plaît à ramasser les miettes du festin ;
Elle voit sans envie, au front de son aînée,
Les immortels lauriers dont elle est couronnée ;
Elle cueille des fleurs qui changent tous les jours,
Elle ne peut souffrir ce qui dure toujours !
Dévouée au malheur, elle est pourtant frivole.
Elle aime à composer sa légère auréole
D’un bluet, d’un brin d’herbe, ou d’un de ces rayons
Qui glissent dans les airs sans que nous les voyons !
Elle berce les cœurs soumis à son empire ;
Elle n’immole pas le barde qu’elle inspire,
Bonne et douce, elle accourt à son premier salut ;
Elle n’a point d’emphase, elle chante sans luth ;
La pauvreté lui plaît ; d’un coup de sa baguette ;
Elle revêt d’éclat les haillons du poète ;
Elle n’exige pas un ciel brillant et chaud,
La mansarde noircie et l’humide cachot
L’attirent... et souvent, bienfaisante, on l’a vue
Porter aux malheureux une joie imprévue.
Mais cette poésie impalpable est dans l’air,
Dans l’espace, partout, c’est le feu de l’éclair,
On ne peut la saisir, on ne peut la décrire ;
Pour langage, elle emprunte un regard, un sourire ;
Je plains l’être incomplet qui ne la connaît pas,
Qui foule, insouciant, l’insecte sous ses pas,
Et, dans l’aridité de son âme inféconde,
Ne voit que le néant où Pascal vit un monde.
 
   Pour oublier la vie, ainsi je m’enivrais
De ces mille plaisirs, chimériques ou vrais ;
Quand, dans l’isolement, l’heure fuyait trop lente,
Que de fois sur les prés je m’assis, indolente,
Endormant mes douleurs, vivant pour admirer,
Sur un jour de printemps laissant mon œil errer,
Alors que chaque épi, chaque fleur, chaque feuille,
Jette une rêverie au cœur qui se recueille,
Et que, voilant l’éclat d’un soleil radieux,
Une tiède vapeur unit la terre aux cieux !
Voyant, autour de moi, la plaine diaprée
D’arbres, où bourgeonnait une neige empourprée,
J’aimais à comparer cette virginité,
Au suave incarnat d’une jeune beauté,
Et, dans cet amandier si frais, si blanc, si rose,
Je croyais voir son front où la candeur repose.
 
   Alors, restant pensive, enivrée, et sans voix,
L’hymne fuyait mon cœur, le luth quittait mes doigts,
Par la réalité, lorsque l’âme est saisie.
Trop faibles sont les mots, vide est la poésie ;
Qu’est le chant de la lyre à côté d’un beau jour ?
La gloire et l’avenir, qu’est-ce, auprès de l’amour ?
Ainsi, l’âme plongée en une molle ivresse,
Des peuples d’Orient j’ai compris la paresse ;
Jouissant par la vue, admirant par les sens,
Ils prennent en pitié tous nos arts impuissants ;
Ils ne contraignent pas une langue rebelle
A peindre froidement la nature si belle !
Ils nous laissent les champs de l’idéalité,
Et nos rêves, pour eux, sont la réalité.

Fleurs du midi (1836)

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