Louise Colet

Conseils à ***.

Pourquoi vous asservir au ridicule usage
De ces mots sans pensée idiome moqueur,
Qui, comme une beauté qui farde son visage,
Eblouit un instant, et n’émeut pas le cœur ?
 
Laissez tout ce clinquant à de petites têtes.
Qui, de leur âme vide excitant la torpeur,
Ont besoin de couvrir d’un manteau d’épithètes
La froide nudité d’une œuvre de vapeur.
 
Laissez ce feu glacé, ces rimes toutes faites
Au pauvre Italien fabriquant le sonnet
Pour les enterrements, les naissances, les fêtes,
Dans un moule uniforme, et que chacun connaît.
 
Mais vous, si vous avez quelque chaleur dans l’âme,
De ce faux or qui court devenez Harpagon ;
N’allez pas, imitant ces fadeurs qu’on déclame,
Changer la poésie en stérile jargon.
 
N’allez pas, pour me rendre un gracieux hommage,
Habiller d’oripeaux un simple compliment ;
Quand la pensée est vraie, elle produit l’image
Qui la couvre sans art, ainsi qu’un vêtement.
 
Croyez-moi, mieux vaudrait une parole nue
Que la brise du soir, le souffle aérien,
Le rayon, le parfum, la vaporeuse nue,
Dont vous formez vos vers, et qui n’expriment rien.
 
Que de ce mauvais goût votre esprit se dégage ;
De ces mots cadencés, jadis, je m’enivrais ;
Aujourd’hui, je dédaigne un factice langage :
J’ai senti que pour plaire il nous faut être vrais.

Fleurs du midi (1836)

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