Joseph Autran

Près du cap de la Hève

« A quoi songes-tu donc de t’engourdir ainsi ?
Serais-tu désormais à ce point radouci,
           Géant qu’on disait si farouche ?
Depuis plus d’un long mois, à quoi donc penses-tu
D’être là, somnolent, de languir abattu
           Comme un ancêtre dans sa couche ?
 
Ce n’est pas pour te voir croupir honteusement
Sur des bords sans écume et sans tressaillement,
           Que j’ai quitté Paris en joie,
Mon salon, mes amis, le bal où je brillais,
Et que je vins si loin meurtrir sur les galets
           Mon pied mignon chaussé de soie.
 
Non pas ; je demandais,—un caprice est permis,
Le spectacle des flots hérissés, insoumis,
           L’onde sublime de colère.
Alerte ! C’est dormir assez, roi fainéant !
Étale tes horreurs, formidable Océan !
           Déchaîne-toi pour me complaire.
 
N’as-tu plus de fierté ni de force en ton sein ?
Si tu tiens à ton nom, tu vas montrer enfin
           L’éclat de ta beauté sauvage.
Veux-tu qu’à mes amis je dise en retournant :
J’ai cherché l’Atlantique irrité, bouillonnant,
           Je n’ai trouvé qu’un marécage ! »
 
Elle parlait ainsi, la belle aux cheveux d’or ;
Et l’énorme Océan, plus immobile encore,
           Laissait intacte sa limite.
Vous auriez dit le calme auguste, souverain,
Du roi lion qui rêve en sa cage d’airain,
           Et qu’un débile enfant excite.
 
A travers les barreaux, le téméraire enfant
Pousse un roseau fragile, et, d’un air triomphant,
           Atteint le monstre-qui repose.
Le lion le regarde,' insensible à ce jeu.
Certes, il ne lui sied point de quitter pour si peu
           Sa somnolence grandiose !

Les Poèmes de la mer (1859)

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