La villa, qui de haut regarde la vallée,
Par le rideau des bois est à demi voilée.
Autour d’elle, un massif de fleurs, des chants d’oiseaux,
Et des conques de marbre où murmurent les eaux.
En face, un vert gazon qui, d’une molle pente,
Descend jusqu’à la plaine où la Lèze serpente.
L’horizon se termine aux montagnes d’azur.
Partout un calme heureux, un air suave et pur,
Un air si bienfaisant, à chaque heure et sans cesse,
Que l’âme le reçoit ainsi qu’une caresse !
Or, c’est là qu’elle vit, c’est là, sous l’œil de Dieu,
Que respire la reine et l’ange de ce lieu.
De ses magiques mains tout y porte la trace.
Chaque meuble y conserve un reflet de sa grâce ;
Ces rideaux au salon, ce jour plus adouci,
Ces fleurs dans le cristal, tout parle d’elle ici ;
Toute cette maison, silencieuse et claire,
Est moins une maison qu’un chaste sanctuaire ;
Et l’on se sent au cœur, dès qu’on franchit le seuil,
Je ne sais quel frisson que tempère l’accueil.
Moi donc, poète errant, sous ce toit diaphane
J’ai trouvé place un jour ; je suis l’hôte profane,
Je suis le passager qui s’arrête en chemin,
Et qui repart bientôt... peut-être dès demain !
Le matin, la villa s’éveille de bonne heure.
Sans bruit, les serviteurs errent dans la demeure,
Vaquant aux premiers soins que réclame le jour.
Les seuls bruits du dehors animent ce séjour :
Son de l’heure qui chante à la tour du village,
Murmure des jardins dont frémit le feuillage,
Concert des nids chanteurs sans cesse renaissant.
Par l’escalier muet, l’hôtesse enfin descend.
Au frôlement confus de sa jupe de gaze,
De loin, je la devine et sens venir l’extase.
Pénétrant au salon d’un pas aérien,
Son familier bonjour y devance le mien.
Elle a du mot charmant l’art et le privilège.
Moi, j’hésite et me tais : d’ailleurs, que lui dirais-je ?
Quand on tremble du cœur, on tremble de la voix.
Des nouvelles du jour, un moment toutefois,
Nous causons. Messager qui monte de la plaine,
Ce matin, le facteur est venu la main pleine.
Dans ce vague entretien nous touchons, au hasard,
A tous les intérêts, surtout à ceux de l’art :
De son sommeil, dit-on, cygne qui se réveille,
Rossini rêve encore sa prochaine merveille...
Que pensez-vous d’Hugo, roi d’attributs divers ?
Préférez-vous sa prose ? Aimez-vous mieux ses vers ?...
Qu’est devenu le temps où chantait Lamartine ?...
L’errante causerie, abeille qui butine,
Ainsi vers toute fleur promène son essor.
Enfin, l’heure au cadran sonne de sa voix d’or.
Ayant rompu le pain sur la table modeste,
Au soleil de midi, la maison fait la sieste.
Silence et quiétude : à peine un tiède vent
Soulève la persienne en éventail mouvant.
Il répand, sous le toit où son souffle pénètre,
Le chaud parfum des fleurs qui longent la fenêtre.
Plongé dans cet arome où le rêve se fond,
On voit, de temps en temps, courir sous le plafond
Des grands tilleuls du parc l’ombre qui se balance,
Et les moires de l’eau qui passent en silence.
Ô langueurs de midi, rêverie à longs flots,
Vagues sommeils qu’on dort les yeux à demi clos,
Dieu sait de quels frissons vous agitez une âme,
Quand flotte dans votre air le souffle d’une femme !
Du clavier tout à coup j’entends vibrer le son,
Une voix retentit, qui charme la maison.
Elle est fraîche et limpide, et fière et caressante :
Ce n’est pas une voix, c’est une fleur qui chante.
Murmures de l’enclos, feuillages, taisez-vous ;
Et que tout oiseau garde un silence jaloux !
L’instrument, sous la main rapide qui l’effleure,
Tantôt vibrait de joie, et le voilà qui pleure ;
Et la docile touche et l’éloquente voix
Tour à tour font silence ou parlent à la fois.
Et moi, de ces accents auditeur solitaire,
Ce que j’entends alors, plongé dans mon mystère,
C’est tout ce qu’au passage une âme peut saisir,
C’est le frémissement des ailes du désir,
C’est l’appel du ramier qu’entendra la colombe,
C’est le cri de l’espoir qui s’élève ou retombe ;
D’un cœur, d’un faible cœur qui défaille à moitié,
C’est la prière à Dieu réclamant sa pitié !
L’heure pourtant décline, et du soleil qui passe
Les dernières ardeurs meurent sur la terrasse.
Il est temps de sortir, il est temps de revoir
Les jardins, l’horizon, dorés au feu du soir.
On s’accoude aux piliers rangés en colonnade :
Où dirigerons-nous ce soir la promenade ?
Par les sentiers étroits qui longent le coteau,
Irons-nous visiter cet antique château
Dont les pâtres voisins racontent la légende ?
Plus haut, par les tapis de sauge et de lavande,
A travers les parfums qu’on soulève en marchant,
Irons-nous contempler la gloire du couchant ?
On part : chaque rayon que cette heure recèle
A sa vive pensée ajoute une étincelle.
Esprit jeune et charmant, à tout sujet dispos,
Un beau rire argentin se mêle à ses propos.
Ce n’est pas une femme, instinct qui se refuse,
C’est un enfant joyeux que toute chose amuse,
Un folâtre écolier qui chante en son chemin,
Et qui sur toute fleur porte sa blanche main.—
Là voilà qui s’arrête, et, brusque et familière,
Orne ses longs cheveux de quelque brin de lierre.
Le classique rêveur, éperdu cette fois,
Pense voir face à face une nymphe des bois :
—Est-ce vous, ô Daphné, blonde enfant de la Grèce ?
Ou bien vous nomme-t-on Diane chasseresse ?
Ce rocher vaut le Pinde, et vous êtes la sœur
De ces êtres divins qu’adorait le chasseur !—
Faut-il passer un gué, franchir une broussaille ?
Il n’est pas de chevreuil si léger qui la vaille ;
Si bien que moi, tardif, qui la suis pas à pas,
Je l’admire à distance... et ne l’imite pas.
—Eh bien ! dit la rieuse, à qui sied l’ironie,
A quoi rêve ce soir votre austère génie ?
Me laisserez-vous seule, affrontant ces déserts ?
Marchez d’un pas plus leste... et dites-moi vos vers !
La nuit vient cependant ; déjà l’étoile brille :
Il convient de rentrer sous le toit de famille.
L’aïeule en cheveux blancs qui garde le salon
A compté le retard, le trouvant déjà long.
Nous rentrons. D’une main savante à chaque chose,
Elle arrange en bouquets les fleurs que je dépose,
Cherche, compare, assemble, entrelace avec art
Les jasmins aux pavots,—la pâleur et le fard,—
Incline un brin d’iris, redresse une corolle,
Puis mêle à tout cela quelque brindille folle !
Cet odorant faisceau, dans l’humide cristal,
Gardera pour demain tout son charme natal.
Les fleurs, vivant près d’elle, ont plus d’un jour à vivre.
La lampe est rallumée, il faut choisir un livre :
Que lirons-nous ce soir, poésie ou roman ?
Nous abreuverons-nous des larmes d’Oberman ?
Lisons plutôt Chénier : que sa tendre élégie
Des plus doux sons humains nous verse la magie.
Sur le même feuillet laissant errer nos yeux,
Elle et moi, demeurons charmés, silencieux ;
Et, le front vers le sien, de si près je le touche,
Que ma tempe frémit au souffle-de sa bouche.
Ainsi pourtant, un jour, le cœur au cœur uni,
Lisaient Paul et Françoise, enfants de Rimini,
Quand, de leurs doigts tremblants et pâles de délire,
Le volume tomba, qu’ils cessèrent de lire !
L’heure enfin sonne encore, elle vibre neuf fois,
Et toute la maison se rassemble à sa voix.
Famille et serviteurs, que son timbre rappelle,
Se rangent en silence aux bancs de la chapelle.
Sur la dalle pieuse ils s’agenouillent tous ;
Même les laboureurs venus au rendez-vous,
Même des journaliers la troupe mercenaire ;
Ceux-ci de leurs haillons vêtus à l’ordinaire,
Ceux-là, les gardiens sauvages du troupeau,
Drapés d’un pan de laine ou d’un sayon de peau.
Alors, écoutez-la prier, la noble femme :
Ce n’est plus une voix qui parle, c’est une âme ;
C’est un cœur plein de foi qui s’élève au Seigneur,
C’est un encens qui monte et qui lui rend honneur.
Elle sait de chacun les besoins, les souffrances ;
Elle exprime de tous les saintes espérances,
Et tous, dès qu’à voix haute elle ne parle plus,
L’accompagnent longtemps d’un murmure confus.
Telle au désert, jadis, par une nuit d’étoiles,
Rachel ou Rebecca priait sous ses longs voiles,
Et, réunis près d’elle autour des grands palmiers,
Ainsi chefs et pasteurs chantaient aux jours premiers !
Humbles gens, cœurs touchés par la voix ingénue,
La trêve des labeurs maintenant est venue ;
Que chacun, jeune ou vieux, dans un grave maintien,
Retourne à son chevet : je gagne aussi le mien...
Mais, dans la veille alors qui pour moi recommence,
Je me sens comme pris d’une vague démence.
Celle qui tient mon cœur, peut-être à son insu,
Sous son paisible toit celle qui m’a reçu,
Quelle est-elle ? Me dis-je. Ô créature étrange,
Est-ce une argile humaine ? Est-ce une forme d’ange ?
L’aveu que je contiens, demain, si je le dis,
Va-t-elle m’emporter dans quelque paradis ?
Ou, de ce rêve d’or fait en pleine lumière,
Me laisser retomber dans l’ombre et la poussière ?...
Ainsi la nuit s’envole, ainsi, de jour en jour,
Je vais m’alanguissant à l’air de ce séjour.
Pourrai-je enfin briser ce charme qu’elle ignore ?
Pour le salut, peut-être, il reste une heure encore :
L’espace est toujours libre et voici le chemin.
Partirai-je ce soir ?... Ne partons que demain !