Jean-Pierre Claris de Florian

Le léopard et l’écureuil

Un écureuil sautant, gambadant sur un chêne,
Manqua sa branche, et vint, par un triste hasard,
Tomber sur un vieux léopard
Qui faisait sa méridienne.
Vous jugez s’il eut peur ! En sursaut s’éveillant,
L’animal irrité se dresse ;
Et l’écureuil s’agenouillant
Tremble et se fait petit aux pieds de son altesse.
Après l’avoir considéré,
Le léopard lui dit : je te donne la vie,
Mais à condition que de toi je saurai
Pourquoi cette gaîté, ce bonheur que j’envie,
Embellissent tes jours, ne te quittent jamais,
Tandis que moi, roi des forêts,
Je suis si triste et je m’ennuie.
Sire, lui répond l’écureuil,
Je dois à votre bon accueil
La vérité : mais, pour la dire,
Sur cet arbre un peu haut je voudrais être assis.
—Soit, j’y consens, monte.– J’y suis.
À présent je peux vous instruire.
Mon grand secret pour être heureux,
C’est de vivre dans l’innocence ;
L’ignorance du mal fait toute ma science ;
Mon cœur est toujours pur, cela rend bien joyeux.
Vous ne connaissez pas la volupté suprême
De dormir sans remords : vous mangez les chevreuils,
Tandis que je partage à tous les écureuils
Mes feuilles et mes fruits ; vous haïssez, et j’aime :
Tout est dans ces deux mots. Soyez bien convaincu
De cette vérité que je tiens de mon père :
Lorsque notre bonheur nous vient de la vertu,
La gaîté vient bientôt de notre caractère.

Fables (1792)

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