Jean de La Fontaine

Le loup et le renard

Mais d’où vient qu’au renard Esope accorde un point,
C’est d’exceller en tours pleins de matoiserie ?
J’en cherche la raison, et ne la trouve point.
Quand le loup a besoin de défendre sa vie,
Ou d’attaquer celle d’autrui,
N’en sait-il pas autant que lui ?
Je crois qu’il en sait plus ; et j’oserais peut-être
Avec quelque raison contredire mon maître.
Voici pourtant un cas où tout l’honneur échut
A l’hôte des terriers. Un soir il aperçut
La lune au fond d’un puits l’orbiculaire image
Lui parut un ample fromage.
Deux seaux alternativement
Puisaient le liquide élément
Notre renard, pressé par une faim canine,
S’accomode en celui qu’au haut de la machine
L’autre seau tenait suspendu.
Voilà l’animal descendu,
Tiré d’erreur, mais fort en peine,
Et voyant sa perte prochaine.
Car comment remonter, si quelque autre affamé,
De la même image charmé,
Et succédant à sa misère,
Par le même chemin ne le tirait d’affaire ?
Deux jours s’étaient passés sans qu’aucun vint au puits.
Le temps, qui toujours marche, avait, pendant deux nuits,
Echancré, selon l’ordinaire,
De l’astre au front d’argent la face circulaire.
Sire Renard était désespéré.
Compère loup, le gosier altéré,
Passe par là. L’autre dit : « Camarade,
Je veux vous régaler voyez-vous cet objet ?
C’est un fromage exquis le dieu Faune l’a fait ;
La vache Io donna le lait.
Jupiter, s’il était malade,
Reprendrait l’appétit en tâtant d’un tel mets.
J’en ai mangé cette échancrure ;
Le reste vous sera suffisante pâture.
Descendez dans un seau que j’ai mis là exprès. »
Bien qu’au moins mal qu’il pût il ajustât l’histoire,
Le loup fut un sot de le croire ;
Il descend, et son poids emportant l’autre part,
Reguinde en haut Maître Renard.
Ne nous moquons point nous nous laissons séduire
Sur aussi peu de fondement ;
Et chacun croit fort aisément
Ce qu’il craint et ce qu’il désire.

Les fables du livre XI (1678)

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