Jean de La Fontaine

L’araignée et l’hirondelle

Ô Jupiter, qui sus de ton cerveau,
Par un secret d’accouchement nouveau,
Tirer Pallas, jadis, mon ennemie,
Entends ma plainte une fois en ta vie.
Progné me vient enlever les morceaux ;
Caracolant, frisant l’air et les eaux,
Elle me prend mes mouches à ma porte :
Miennes je puis les dire ; et mon réseau
En serait plein sans ce maudit oiseau :
Je l’ai tissu de matière assez forte. »
Ainsi, d’un discours insolent,
Se plaignait l’Araignée, autrefois tapissière,
Et qui lors étant filandière,
Prétendait enlacer tout insecte volant.
La soeur de Philomèle, attentive à sa proie,
Malgré le bestion, happait mouches dans l’air,
Pour ses petits, pour elle, impitoyable joie,
Que ses enfants gloutons, d’un bec toujours ouvert,
D’un ton demi-formé, bégayante couvée,
Demandaient par des cris encore mal entendus.
La pauvre Aragne, n’ayant plus
Que la tête et les pieds, artisans superflus,
Se vit elle-même enlevée :
L’Hirondelle, en passant, emporta toile, et tout,
Et l’animal pendant au bout.
Jupin pour chaque état mit deux tables au monde :
L’adroit, le vigilant, et le fort sont assis
À la première ; et les petits
Mangent leur reste à la seconde.

Les fables du livre X (1678)

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