Jacques Delille

À Mme d’Houdetot

(Pour le jardin de Mme D’houdetot.)
 
Ô Combien j’aime mieux vos riants paysages
Que ces parcs de Plutus, dispendieux ouvrages,
Où venaient à grand bruit se cacher autrefois,
Et les ennuis des grands, et les chagrins des rois !
Je trouve l’innocence et le bonheur champêtre,
Dans ces lieux, que vos mains ont pris soin d’embellir.
L’oiseau, de vous charmer semble s’enorgueillir,
             Les roses s’empressent d’y naître,
             Et le chêne veut y vieillir.
J’aime de vos gazons les nappes verdoyantes,
Vos élégants bosquets, vos bois majestueux,
Tout plaît à mes regards : vos routes ondoyantes
Ne me tourmentent point de replis tortueux,
Et l’on peut y marcher, y rêver deux à deux.
             À ces beaux lieux, que le bon goût décore,
Plus d’un doux monument vient ajouter encore :
             De tous ceux qui vous furent chers,
Dont vous aimiez l’éloquence ou les vers,
Sous les abris sacrés de ces feuillages sombres,
On croit voir revenir et voltiger les ombres ;
Votre art veut émouvoir, et non pas éblouir :
Pour vous, aimer c’est vivre, et rêver c’est jouir ;
             La douleur rêveuse a son charme.
             Dès qu’on arrive à ce jardin charmant,
             Le cœur est sûr d’un sentiment,
             Et l’œil se promet une larme.
Tout ici se conforme à vos tendres douleurs ;
Pour vous le noir cyprès rembrunit ses couleurs,
             L’onde plaintive attriste son murmure,
Un jour mélancolique éclaire l’ombre obscure,
Et le saule incliné joint son deuil à vos pleurs.
Eh ! qui peut près de vous demeurer impassible ?
             Quels barbares échos peuvent rester muets ?
Les doux ressouvenirs habitent vos bosquets ;
La tristesse chérit leur silence paisible,
             Et pour exprimer vos regrets,
La pierre même apprend à devenir sensible.

Poésies fugitives (1807)

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