Germain Nouveau

La poudre

Et vos cheveux, alors, de sombres
Deviennent gris, et de gris, blancs,
Comme un peuple aux ailes sans nombres
De colombes aux vols tremblants.
 
Suis-je sur terre ou bien rêvè-je ?
Quoi, c’est vous, c’est toi que je vois
Sous ta chevelure de neige,
Jeune de visage et de voix ;
 
Le corps svelte et libre d’allure,
Sans rien de fané ni de las,
Et cependant ta chevelure
Est plus blanche que les lilas.
 
Pour qu’il meure et pour qu’il renaisse,
Viens-tu verser à mon désir,
Avec le vin de la jeunesse
L’expérience du plaisir ?
 
Avec ta voix pleine de verve
Et la pureté de tes mains,
Es-tu la déesse Minerve
Sous l’acier du casque romain ?
 
Viens-tu verser, dans ta largesse,
Au cœur qui ne peut s’apaiser,
Avec le vin de la sagesse,
L’expérience du baiser ?
 
Jeune Femme aux cheveux de Sage,
Tels qu’un vol de blancs papillons,
C’est la gloire de ton visage
Qui l’entoure de ses rayons ;
 
Si ce n’est l’Amour, c’est l’image
De l’Amour, qu’en vous je veux voir,
Jeune femme aux cheveux de Mage,
Tels que les neiges du savoir !
 
Sous votre vieillesse vermeille
La caresse se cache et rit,
Comme une chatte qui sommeille
Sur les griffes de son esprit.
 
Dans ta vieillesse enchanteresse
Je veux t’étreindre et m’embraser
Dans l’alambic de ta caresse,
Sous l’élixir de ton baiser.

"Valentines (1885)"

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