Germain Nouveau

Le verre

 
 
 
 
Madame, on m’a dit l’autre jour
Que j’imitais... qui donc ? devine ;
Que j’imitais Musset : le tour
N’en est pas nouveau, j’imagine.
 
Musset a répondu pour nous :
« C’est imiter quelqu’un, que diantre !
Écrit-il, que planter des choux
En terre... ou des enfants... en ventre. »
 
Et craquez, corsets de satin !
Quant à moi, s’il me faut tout dire,
J’imite quelqu’un, c’est certain,
Quelqu’un du poétique empire.
 
Je m’élance sur son chemin
Avec la foi bénédictine ;
Cherchez dans tout le genre humain.
Eh ! bien... c’est elle, Valentine.
 
On ne peut copier son air,
Ses propos et son moindre geste,
Mais son cœur ! mais son esprit fier !
Je peux attendre pour le reste.
 
Ça me conduira qui sait où ?
Je crois être elle, ma parole !
Au lieu de dire : je suis fou,
L’autre jour j’ai dit : je suis folle !
 
Ma personnalité, ma foi !
S’est envolée ; et ceci même,
Mes vers sont d’elle et non de moi,
Si toutefois elle les aime ;
 
Ce serait par trop hasardeux
Que de mettre tout un volume
Sur son dos ; si nous sommes deux,
Je suis seul à tenir la plume !
 
Oh ! bien seul ! ne confondons pas,
Je suis parfaitement le maître ;
Car des fautes ou de faux pas
Elle ne saurait en commettre.
 
Vous voyez, c’est bien différent
De ce que racontait l’histoire.
Ah ! Si son verre était moins grand,
J’aurais voulu peut-être y boire...
 
Il est bien grand, en vérité !
Ne croyez pas que je badine ;
Je boirai donc à sa santé,
Dans le Verre de Valentine.

"Valentines (1885)"

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