François-Marie Robert-Dutertre

Le bon curé de Souvignac.

Les bons curés, les douces femmes,
Sont de rares présents des cieux ;
Les grands esprits, les simples âmes
Habitent peu dans ces bas lieux ;
Mais Dieu, par une grâce insigne,
Non loin du duché d’Armagnac,
A choisi, pour bénir la vigne,
Le bon curé de Souvignac.
 
Son grand dogme est la tolérance ;
Aucuns pécheurs ne sont maudits ;
Dans un doux rayon d’espérance,
Il montre à tous le Paradis ;
Simple de ton et de démarche,
Au pauvre ouvrant vite son sac,
Il est beau comme un patriarche,
Ce bon curé de Souvignac.
 
Sous le toit de son humble cure
Il reçoit de gais pèlerins,
Et, sans être enfant d’Épicure,
Il permet les joyeux refrains ;
Sa prévenance hospitalière
Offre calumet et tabac,
Car il a l’humeur familière,
Ce bon curé de Souvignac.
 
L’Église, dès notre naissance,
Assoit sur nous menus impôts ;
La mine d’or, c’est l’ignorance,
Et l’on y fouille à tout propos.
Mais sur l’autel faire la banque
Répugne à ce fils d’Isaac ;
Voilà pourquoi le luxe manque
Chez le curé de Souvignac.
 
Laissant à César son royaume,
Au culte il borne son pouvoir ;
Il fuit la cour, mais sous le chaume
L’orphelin est sûr de le voir.
Quand tant d’autres adroits compères
Ont recours aux coups de Jarnac,
On ne cite que faits sincères
Du bon curé de Souvignac.
 
Il n’a pas renié sa mère
En se faisant prêtre romain :
Il ne traite pas de chimère
Le progrès de l’esprit humain ;
Il aime la philosophie
Et sait respecter Condillac ;
A la science il se confie,
Le bon curé de Souvignac.
 
Le Vatican, le Capitole
Ne changent point son oremus,
Et sa voix douce qui console
Ne dit jamais : Non possumus.
Sous le froc il est sans rancune,
Tel qu’il fut jadis sous le frac.
Qu’il est d’espèce peu commune,
Le bon curé de Souvignac !
 
Instruit des droits de la nature
Comme des devoirs d’un chrétien,
De la plus humble créature
Il se fait l’indulgent soutien.
Mais, vrai fils du siècle, il rabaisse
Tous les marquis de Pourceaugnac,
Car vertu vaut mieux que noblesse
Pour le curé de Souvignac.
 
Il ne scrute pas l’âme humaine
Par-delà l’ombre du tombeau,
Et conduit jusqu’au noir domaine
Le pécheur parti sans flambeau.
« Juge éternel, sois-lui propice,
Qu’il ait nom Voltaire ou Balzac,
Je lui dois un dernier office, »
Dit le curé de Souvignac.
 
Le prêtre imbu de l’Évangile,
Le franc-maçon au rit divin,
A la même coupe d’argile
Peuvent boire le même vin.
Au chevet du même malade,
Près de l’homme au pauvre bissac,
Nous donnerions tous l’accolade
Au bon curé de Souvignac.

Les loisirs lyriques (1866)

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