François de Malherbe

Pour de petites Nymphes, menant l’Amour prisonnier

           Stances au Roi Henri Le Grand.
 
                               1610.
 
 
À la fin tant d’amants, dont les âmes blessées
             Languissent nuit et jour,
Verront sur leur auteur leurs peines renversées,
Et seront consolés aux dépens de l’Amour :
 
Ce public ennemi, cette peste du monde,
             Que l’erreur des humains
Fait le maître absolu de la terre et de l’onde,
Se trouve à la merci de nos petites mains.
 
Nous le vous amenons dépouillé de ses armes,
             Ô roi, l’astre des rois ;
Quittez votre bonté, moquez-vous de ses larmes,
Et lui faites sentir la rigueur de vos lois.
 
Commandez que sans grâce on lui fasse justice ;
             Il sera malaisé
Que sa vaine éloquence ait assez d’artifice
Pour démentir les faits dont il est accusé.
 
Jamais ses passions, par qui chacun soupire,
             Ne nous ont fait d’ennui :
Mais c’est un bruit commun que dans tout votre empire
Il n’est point de malheur qui ne vienne de lui.
 
Mars, qui met sa louange à déserter la terre
             Par des meurtres épais,
N’a rien de si tragique aux fureurs de la guerre
Comme ce déloyal aux douceurs de la paix.
 
Mais, sans qu’il soit besoin d’en parler davantage,
             Votre seule valeur,
Qui de son impudence a ressenti l’outrage,
Vous fournit-elle pas une juste douleur ?
 
Ne mêlez rien de lâche à vos hautes pensées ;
             Et par quelques appas
Qu’il demande merci de ses fautes passées,
Imitez son exemple à ne pardonner pas.
 
L’ombre de vos lauriers admirés de l’envie
             Fait l’Europe trembler ;
Attachez bien ce monstre, ou le privez de vie,
Vous n’aurez jamais rien qui vous puisse troubler.

Poésies livre II

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