STANCES.
Composées en Bourgogne.
1609.
Complices de ma servitude,
Pensers, où mon inquiétude
Trouve son repos désiré,
Mes fidèles amis et mes vrais secrétaires,
Ne m’abandonnez point en ces lieux solitaires ;
C’est pour l’amour de vous que j’y suis retiré.
Partout ailleurs je suis en crainte ;
Ma langue demeure contrainte ;
Si je parle, c’est à regret ;
Je pèse mes discours, je me trouble et m’étonne,
Tant j’ai peu d’assurance à la foi de personne :
Mais à vous je suis libre, et n’ai rien de secret.
Vous lisez bien en mon visage
Ce que je souffre en ce voyage
Dont le ciel m’a voulu punir ;
Et savez bien aussi que je ne vous demande,
Étant loin de ma dame, une grâce plus grande
Que d’aimer sa mémoire et m’en entretenir.
Dites-moi donc sans artifice,
Quand je lui vouais mon service,
Faillis-je en mon élection ?
N’est-ce pas un objet digne d’avoir un temple,
Et dont les qualités n’ont jamais eu d’exemple,
Comme il n’en fut jamais de mon affection ?
Au retour des saisons nouvelles,
Choisissez les fleurs les plus belles
De qui la campagne se peint ;
En trouverez-vous une où le soin de nature
Ait avecque tant d’art employé sa peinture,
Qu’elle soit comparable aux roses de son teint ?
Peut-on assez vanter l’ivoire
De son front, où sont en leur gloire
La douceur et la majesté ;
Ses yeux, moins à des yeux qu’à des soleils semblables ;
Et de ses beaux cheveux les noeuds inviolables,
D’où n’échappa jamais rien qu’elle ait arrêté ?
Ajoutez à tous ces miracles
Sa bouche de qui les oracles
Ont toujours de nouveaux trésors ;
Prenez garde à ses mœurs, considérez-la toute :
Ne m’avouerez-vous pas que vous êtes en doute
Ce qu’elle a plus parfait, ou l’esprit, ou le corps ?
Mon roi, par son rare mérite,
A fait que la terre est petite
Pour un nom si grand que le sien :
Mais si mes longs travaux faisaient cette conquête,
Quelques fameux lauriers qui lui couvrent la tête,
Il n’en aurait pas un qui fût égal au mien.
Aussi quoique l’on me propose
Que l’espérance m’en est close,
Et qu’on n’en peut rien obtenir ;
Puisqu’à si beau dessein mon désir me convie,
Son extrême rigueur me coûtera la vie,
Où mon extrême foi m’y fera parvenir.
Si les tigres les plus sauvages
Enfin apprivoisent leurs rages,
Flattés par un doux traitement ;
Par la même raison pourquoi n’est-il croyable
Qu’à la fin mes ennuis la rendront pitoyable,
Pourvu que je la serve à son contentement ?
Toute ma peur est que l’absence
Ne lui donne quelque licence
De tourner ailleurs ses appas ;
Et qu’étant, comme elle est, d’un sexe variable,
Ma foi, qu’en me voyant elle avait agréable,
Ne lui soit contemptible en ne me voyant pas.
Amour a cela de Neptune,
Que toujours à quelque infortune
Il se faut tenir préparé ;
Ses infidèles flots ne sont point sans orages,
Aux jours les plus sereins on y fait des naufrages,
Et même dans le port on est mal assuré.
Peut-être qu’à cette même heure
Que je languis, soupire et pleure,
De tristesse me consumant,
Elle, qui n’a souci de moi ni de mes larmes,
Étale ses beautés, fait montre de ses charmes,
Et met en ses filets quelque nouvel amant.
Tout beau, pensers mélancoliques,
Auteurs d’aventures tragiques,
De quoi m’osez-vous discourir ?
Impudents boute-feux de noise et de querelle,
Ne savez-vous pas bien que je brûle pour elle,
Et que me la blâmer c’est me faire mourir ?
Dites-moi qu’elle est sans reproche,
Que sa constance est une roche,
Que rien n’est égal à sa foi ;
Prêchez-moi ses vertus, contez-m’en des merveilles ;
C’est le seul entretien qui plaît à mes oreilles :
Mais pour en dire mal : n’approchez point de moi.