François de Malherbe

Enfin ma patience et les soins que j’ai pris

Pour le comte de Charny, qui souhaitait en mariage
         Mademoiselle de Castille, qu’il épousa en 1620.
 
                             1619.
 
Enfin ma patience et les soins que j’ai pris
Ont, selon mes souhaits, adouci les esprits
Dont l’injuste rigueur si longtemps m’a fait plaindre.
               Cessons de soupirer :
Grâce à mon destin, je n’ai plus rien à craindre,
               Et puis tout espérer.
 
Soit qu’étant le soleil dont je suis enflammé
Le plus aimable objet qui jamais fut aimé,
On ne m’ait pu nier qu’il ne fut adorable,
               Soit que d’un oppressé
Le droit bien reconnu soit toujours favorable,
               Les Dieux m’ont exaucé.
 
Naguère que j’oyais la tempête souffler,
Que je voyais la vague en montagne s’enfler,
Et Neptune à mes cris faire la sourde oreille,
               À-peu-près englouti,
Eussé-je osé prétendre à l’heureuse merveille
               D’en être garanti ?
 
Contre mon jugement les orages cessés
Ont des calmes si doux en leur place laissés,
Qu’aujourd’hui ma fortune a l’empire de l’onde ;
               Et je vois sur le bord
Un ange, dont la grâce est la gloire du monde,
               Qui m’assure du port.
 
Certes c’est lâchement qu’un tas de médisants,
Imputant à l’Amour qu’il abuse nos ans,
De frivoles soupçons nos courages étonnent ;
               Tous ceux à qui déplaît
L’agréable tourment que ses flammes nous donnent
               Ne savent ce qu’il est.
 
S’il a de l’amertume à son commencement,
Pourvu qu’à mon exemple on souffre doucement,
Et qu’aux appas du change une âme ne s’envole,
               On se peut assurer
Qu’il est maître équitable, et qu’enfin il console
               Ceux qu’il a fait pleurer.

Poésies livre II

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