François Coppée

La mémoire.

Souvent, lorsque la main sur les yeux je médite,
Elle m’apparaît, svelte &amp ; la tête petite,
Avec ses blonds cheveux coupés courts sur le front.
Trouverai-je jamais des mots qui la peindront,
La chère vision que malgré moi j’ai fuie ?
Qu’est auprès de son teint la rose après la pluie ?
Peut-on comparer même au chant du bengali
Son exotique accent, si clair &amp ; si joli ?
Est-il une grenade entr’ouverte qui rende
L’incarnat de sa bouche adorablement grande ?
Oui, les astres sont purs, mais aucun, dans les cieux,
Aucun n’est éclatant &amp ; pur comme ses yeux ;
Et l’antilope errant sous le taillis humide
N’a pas ce long regard lumineux &amp ; timide.
Ah ! devant tant de grâce &amp ; de charme innocent,
Le poète qui veut décrire est impuissant,
Mais l’amant peut du moins s’écrier : « Sois bénie,
Ô faculté sublime à l’égal du génie,
Mémoire, qui me rends son sourire &amp ; sa voix,
Et qui fais qu’exilé loin d’elle je la vois ! »

L’exilée (1877)

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