François Coppée

À deux îles.

Ô siècle ! ceux qui sont trop grands, tu les exiles !
Et tes deux meilleurs fils échoués dans deux îles
Y vivent, sans se plaindre et sans un mot amer,
Seuls avec leur passé, leur génie et la mer.
L’Histoire, un jour, voyant se dresser leurs deux ombres,
L’une sur les flots bleus, l’autre sur les flots sombres,
Et songeant à ce qu’ils ont fait pour l’univers,
L’un avec son épée et l’autre avec ses vers,
A pu te demander, émue et stupéfaite
« Où donc est ton soldat ! Où donc est ton poète ! »
Et ce jour-là, l’œil terne et le front obscurci,
Tu n’as pu que répondre : « Ils ne sont pas ici ! »
Du moins ceux de qui l’âme épouse les grands rêves
Souvent laissent aller leurs vœux vers ces deux grèves
Où le soldat sublime et l’immense penseur
Regardent, les yeux pleins d’une triste douceur,
Sur la mer ondoyante ainsi qu’un champ de seigles,
S’éloigner les vaisseaux et s’envoler les aigles ;
Et, bien qu’ayant le cœur, hélas ! voilé de deuil,
Tous, nous sentons alors un confiant orgueil
De songer que ce temps a vu de grandes choses
Et peut encore, au fond des nuages moroses
D’un lointain ténébreux, mais qui s’éclairera,
Voir Guernesey tendant la main à Caprera.

Sonnets intimes et poèmes inédits (1911)

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