Émile Verhaeren

L’heure et l’humeur

Comme à d’autres, l’heure et l’humeur :
L’heure morose ou l’humeur malévole
Nous ont, de leurs sceaux noirs, marqué le coeur,
Mais, néanmoins, jamais,
Même les soirs des jours mauvais
Nos coeurs ne se sont dit les fatales paroles.
 
La sincérité claire, ardente, illuminée,
Nous fut joie et conseil,
Si bien que notre âme passionnée
Toujours s’y retrempa, comme en un flux vermeil.
 
Et nous nous sommes dit nos plus pauvres misères,
Les égrenant comme un âpre rosaire,
L’un devant l’autre, en sanglotant d’amour ;
Et doucement et tour à tour
Sur nos lèvres qui les disaient d’une voix haute
Nos deux bouches, à chaque aveu, baisaient nos fautes.
 
Ainsi,
Très simplement, sans lâcheté ni sans blasphème,
Nous nous sommes sauvés du monde et de nous-mêmes,
Nous épargnant des deuils et les rongeants soucis,
Et regardant notre âme renaître,
Comme renaît après la pluie,
Quand le soleil la chauffe et doucement l’essuie,
La pureté de verre et d’or d’une fenêtre.

Les heures d’après-midi (1905)

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