Charles Guérin

La voix du soir

La voix du soir est sainte et forte,
Lourde de songe et de parfums,
Et son flot d’ombre me rapporte
La cendre des espoirs défunts.
 
J’ai dit à l’amour qu’il s’en aille,
Et son pas d’aube, je l’écoute
Qui dans la gaieté des sonnailles
S’étouffe au tournant de la route.
 
La douceur de ce soir témoigne
De la bonté calme des choses.
Je voudrais vivre ! Qu’on éloigne
Le vin où macèrent des roses,
 
Qu’on éloigne les mots subtils,
Les rythmes triples en tiares,
Les stylets stellés de béryls
Et les simarres d’or barbares.
 
Je suis las des perversités,
Je voudrais que mon âme lasse
Redevienne enfant des cités
Où le lys règne sur les places,
 
Que mon âme d’ombre délaisse
Les jardins de ronces haineuses,
Et laisse l’orgueil pour l’humblesse
Et redevienne lumineuse.
 
Le ciel est tendu d’améthyste,
Et maints péchés sont déliés...
Je songe un livre de pitié
Pour les âmes simples et tristes.

Le sang des crépuscules (1895)

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