Casimir Delavigne

Du besoin de s’unir après le départ des étrangers

Ô toi que l’univers adore,
Ô toi que maudit l’univers,
Fortune, dont la main, du couchant à l’aurore,
Dispense les lauriers, les sceptres et les fers,
Ton aveugle courroux nous garde-t-il encore
Des triomphes et des revers ?

Nos malheurs trop fameux proclament ta puissance ;
Tes jeux furent sanglans dans notre belle France ;
Le peuple mieux instruit, mais trop fier de ses droits,
Sur les débris du trône établit son empire,
Poussa la liberté jusqu’au mépris des lois,
Et la raison jusqu’au délire.

Bientôt au premier rang porté par ses exploits,
Un roi nouveau brisa d’un sceptre despotique
Les faisceaux de la république,
Tout dégouttans du sang des rois.

Pour affermir son trône, il lassa la victoire,
D’un peuple généreux prodigua la valeur ;
L’Europe qu’il bravait a fléchi sous sa gloire ;
Elle insulte à notre malheur.
C’est qu’ils ne vivent plus que dans notre mémoire
Ces guerriers dont le nord a moissonné la fleur.
O désastre ! O pitié ! Jour à jamais célèbre,
Où ce cri s’éleva dans la patrie en deuil ;
Ils sont morts, et Moscow fut le flambeau funèbre
Qui prêta ses clartés à leur vaste cercueil.

Ces règnes d’un moment, et les chutes soudaines
De ces trônes d’un jour l’un sur l’autre croulans,
Ont laissé des levains de discorde et de haines
Dans nos esprits plus turbulens.

Cessant de comprimer la fièvre qui l’agite,
Le fier républicain, sourd aux leçons du temps,
Appelle avec fureur, dans ses rêves ardens,
Une liberté sans limite ;
Mais cette liberté fut féconde en forfaits ;
Cet océan trompeur, qui n’a point de rivages,
N’est connu jusqu’à nous que par de grands naufrages
Dans les annales des Français.

« Que nos maux, direz-vous, nous soient du moins utiles ; Opposons une digue aux tempêtes civiles ; Que deux pouvoirs rivaux, l’un émané des rois, L’autre sorti du peuple et garant de ses droits, Libres et dépendans, offrent au rang suprême Un rempart contre nous, un frein contre lui-même. »

Vainement la raison vous dicte ces discours ;
L’égoïsme et l’orgueil sont aveugles et sourds ;
Cet amant du passé, que le présent irrite,
Jaloux de voir ses rois d’entraves dégagés,
Le front baissé, se précipite
Sous la verge des préjugés.

Quoi ! Toujours des partis proclamés légitimes,
Tant qu’ils règnent sur nos débris,
L’un par l’autre abattus, proscrivant ou proscrits,
Tour à tour tyrans ou victimes !
Empire malheureux ! Voilà donc ton destin !...
Français, ne dites plus : « La France nous est chère ; »
Elle désavoûrait votre amour inhumain.
Cessez, enfans ingrats, d’embrasser votre mère,
Pour vous étouffer dans son sein.

Contre ses ennemis tournez votre courage ;
Au conseil des vainqueurs son sort est agité ;
Ces rois qui l’encensaient fiers de leur esclavage,
Vont lui vendre la liberté.

Non, ce n’est pas en vain que sa voix nous appelle ;
Et, s’ils ont prétendu, par d’infames traités,
Imprimer sur nos fronts une tache éternelle ;
Si de leur doigt superbe ils marquent les cités
Que veut se partager une ligue infidèle ;
Si la foi des sermens n’est qu’un garant trompeur ;
Si, le glaive à la main, l’iniquité l’emporte ;
Si la France n’est plus, si la patrie est morte,
Mourons tous avec elle, ou rendons-lui l’honneur.

Qu’entends-je ? Et d’où vient cette ivresse
Qui semble croître dans son cours ?
Quels chants, quels transports d’allégresse !
Quel bruyant et nombreux concours !
De nos soldats la foule au loin se presse ;
D’une nouvelle ardeur leurs yeux sont embrasés ;
Plus d’anglais parmi nous ! Plus de joug ! Plus d’entraves !
Levez plus fièrement vos fronts cicatrisés...
Oui, l’étranger s’éloigne ; oui, vos fers sont brisés ;
Soldats, vous n’êtes plus esclaves !

Reprends ton orgueil,
Ma noble patrie ;
Quitte enfin ton deuil,
Liberté chérie ;
Liberté, patrie,
Sortez du cercueil !

D’un vainqueur insolent méprisons les injures ;
Riches des étendards conquis sur nos rivaux,
Nous pouvons à leurs yeux dérober nos blessures
En les cachant sous leurs drapeaux.

Voulons-nous enchaîner leurs fureurs impuissantes ?
Soyons unis, français ; nous ne les verrons plus
Nous dicter d’Albion les décrets absolus,
Arborer sur nos tours ses couleurs menaçantes.
Nous ne les verrons plus, le front ceint de lauriers,
Troublant de leur aspect les fêtes du génie,
Chez Melpomène et Polymnie
Usurper une place où siégeaient nos guerriers.
Nous ne les verrons plus nous accorder par grace
Une part des trésors flottans sur nos sillons.
Soyons unis ; jamais leurs bataillons
De nos champs envahis ne couvriront la face ;
La France dans son sein ne les peut endurer,
Et ne les recevrait que pour les dévorer.

Ah ! Ne l’oublions pas ; naguère, dans ces plaines
Où le sort nous abandonna,
Nous n’avions pas porté des ames moins romaines
Qu’aux champs de Rivoli, de Fleurus, d’Iéna ;
Mais nos divisions nous y forgeaient des chaînes.
Effrayante leçon qui doit unir nos coeurs
Par des liens indestructibles ;
Le courage fait des vainqueurs ;
La concorde, des invincibles.

Henri, divin Henri, toi qui fus grand et bon,
Qui chassas l’espagnol et finis nos misères,
Les partis sont d’accord en prononçant ton nom ;
Henri, de tes enfans fais un peuple de frères.
Ton image déjà semble nous protéger,
Tu renais ; avec toi renaît l’indépendance ;
Ô roi le plus français dont s’honore la France,
Il est dans ton destin de voir fuir l’étranger !

Et toi, son digne fils, après vingt ans d’orage,
Règne sur des sujets par toi-même ennoblis.
Leurs droits sont consacrés dans ton plus bel ouvrage.
Oui, ce grand monument, affermi d’âge en âge,
Doit couvrir de son ombre et le peuple et les lis.
Il est des opprimés l’asile impérissable,
La terreur du tyran, du ministre coupable,
Le temple de nos libertés.
Que la France prospère en tes mains magnanimes,
Que tes jours soient sereins, tes décrets respectés,
Toi, qui proclames ces maximes ;
Ô rois, pour commander, obéissez aux lois ;
Peuple, en obéissant, sois libre sous tes rois !

Les Messéniennes, Livre I (1835)

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