Anna de Noailles Sauter

Les saisons et l’amour

Le gazon soleilleux est plein
De campanules violettes,
Le jour las et brûlé halette
Et pend aux ailes des moulins.
 
La nature, comme une abeille,
Est lourde de miel et d’odeur,
Le vent se berce dans les fleurs
Et tout l’été luisant sommeille.
 
—Ô gaieté claire du matin
Où l’âme, simple dans sa course,
Est dansante comme une source
Qu’ombragent des brins de plantain !
 
De lumineuses araignées
Glissent au long d’un fil vermeil,
Le cœur dévide du soleil
Dans la chaleur d’ombre baignée.
 
—Ivresse des midis profonds,
Coteaux roux où grimpent des chèvres,
Vertige d’appuyer les lèvres
Au vent qui vient de l’horizon ;
 
Chaumières debout dans l’espace
Au milieu des seigles ployés,
Ayant des plants de groseilliers
Devant la porte large et basse...
 
—Soirs lourds où l’air est assoupi,
Où la moisson pleine est penchante,
Où l’âme, chaude et désirante,
Est lasse comme les épis.
 
Plaisir des aubes de l’automne,
Où, bondissant d’élans naïfs,
Le cœur est comme un buisson vif
Dont toutes les feuilles frissonnent !
 
Nuits molles de désirs humains,
Corps qui pliez comme des saules,
Mains qui s’attachent aux épaules,
Yeux qui pleurent au creux des mains.
 
—Ô rêves des saisons heureuses,
Temps où la lune et le soleil
Écument en rayons vermeils
Au bord des âmes amoureuses...

Le cœur innombrable (1901)

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