Anna de Noailles Sauter

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Pauvre faune qui va mourir
Reflète-moi dans tes prunelles
Et fais danser mon souvenir
Entre les ombres éternelles.
 
Va, et dis à ces morts pensifs
À qui mes jeux auraient su plaire
Que je rêve d’eux sous les ifs
Où je passe petite et claire.
 
Tu leur diras l’air de mon front
Et ses bandelettes de laine,
Ma bouche étroite et mes doigts ronds
Qui sentent l’herbe et le troène,
 
Tu diras mes gestes légers
Qui se déplacent comme l’ombre
Que balancent dans les vergers
Les feuilles vives et sans nombre.
 
Tu leur diras que j’ai souvent
Les paupières lasses et lentes,
Qu’au soir je danse et que le vent
Dérange ma robe traînante.
 
Tu leur diras que je m’endors
Mes bras nus pliés sous ma tête,
Que ma chair est comme de l’or
Autour des veines violettes.
 
—Dis-leur comme ils sont doux à voir
Mes cheveux bleus comme des prunes,
Mes pieds pareils à des miroirs
Et mes deux yeux couleur de lune,
 
Et dis-leur que dans les soirs lourds,
Couchée au bord frais des fontaines,
J’eus le désir de leurs amours
Et j’ai pressé leurs ombres vaines...

Le cœur innombrable (1901)

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