Anna de Noailles Sauter

L’offrande à la nature

Nature au cœur profond sur qui les cieux reposent,
Nul n’aura comme moi si chaudement aimé
La lumière des jours et la douceur des choses,
L’eau luisante et la terre où la vie a germé.
 
La forêt, les étangs et les plaines fécondes
Ont plus touché mes yeux que les regards humains,
Je me suis appuyée à la beauté du monde
Et j’ai tenu l’odeur des saisons dans mes mains.
 
J’ai porté vos soleils ainsi qu’une couronne
Sur mon front plein d’orgueil et de simplicité,
Mes jeux ont égalé les travaux de l’automne
Et j’ai pleuré d’amour aux bras de vos étés.
 
Je suis venue à vous sans peur et sans prudence
Vous donnant ma raison pour le bien et le mal,
Ayant pour toute joie et toute connaissance
Votre âme impétueuse aux ruses d’animal.
 
Comme une fleur ouverte où logent des abeilles
Ma vie a répandu des parfums et des chants,
Et mon cœur matineux est comme une corbeille
Qui vous offre du lierre et des rameaux penchants.
 
Soumise ainsi que l’onde où l’arbre se reflète,
J’ai connu les désirs qui brûlent dans vos soirs
Et qui font naître au cœur des hommes et des bêtes
La belle impatience et le divin vouloir.
 
Je vous tiens toute vive entre mes bras, Nature.
Ah ! faut-il que mes yeux s’emplissent d’ombre un jour,
Et que j’aille au pays sans vent et sans verdure
Que ne visitent pas la lumière et l’amour...

Le cœur innombrable (1901)

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