André Lemoyne

Vol d’oiseaux

                     À David Sauvageot.
 
 
                                 I.
 
Les cygnes migrateurs qui passent dans les airs,
Pèlerins de haut vol, fiers de leurs ailes grandes,
Sont tout surpris de voir tant d’espaces déserts :
Des steppes, des marais, des grèves et des landes.
 
« C’est triste, pensent-ils... Ne croit-on pas rêver
Quand, à perte de vue, on trouve abandonnées
D’immenses régions qu’on devrait cultiver,
Et qui dorment sans fruit depuis nombre d’années.
 
« Ceux qui rampent en bas nous semblent bien petits,
Quand nous apercevons la fourmilière humaine.
Les blancs, comme les noirs, sont fort mal répartis,
Eparpillés sans ordre où le hasard les mène.
 
« Ils se croisent les bras au bord des océans.
Infimes héritiers des races disparues,
Tous voudraient vivre ainsi que des rois fainéants,
En laissant aux sillons se rouiller les charrues ;
 
« Boire les meilleurs vins et manger tous les fruits,
S’enliser à plein corps dans les plaisirs terrestres,
Et dans un frais sommeil passer toutes les nuits,
Au murmure des flots et des grands pins sylvestres ;
 
« Manger, boire et dormir sur un bon oreiller,
Jouir de tous les biens en tranquilles apôtres,
Trop indolents d’ailleurs pour jamais travailler ;
Ceux qui n’ont rien chez eux prenant ce qu’ont les autres.
 
« Devant eux, sans rien voir, en cheminant tout droit,
Jusqu’aux pointes des caps où la mer les arrête,
Comme troupeaux bloqués dans un bercail étroit,
Ils vont... ne sachant plus où donner de la tète.
 
                                 II.
 
« Nous, qui sommes contraints de changer de climats,
Nous avons à subir de bien rudes épreuves.
Nous saluons au vol de grands panoramas,
Monts blancs, déserts de sable et rubans verts des fleuves.
 
« Mais, quand nous dominons l’immensité des flots,
En mer, sous l’équinoxe au temps des hivernages.
Sans trouver pour abri quelques rares Ilots,
Il nous faut accomplir de longs pèlerinages.
 
« À l’exil, tous les ans, nous sommes condamnés.
Par tempêtes de neige et tourbillons de givre,
Souvent nos chers petits, les derniers qui sont nés,
D’une aile fatiguée ont grand’peine à nous suivre.
 
« Du froid et des brouillards, de la grêle et des vents,
Par les chemins du ciel, nous avons tout à craindre.
Paix à nos morts... l’espoir reste au cœur des vivants,
Et nous ne perdons pas notre temps à nous plaindre. »
 
                                 III.
 
Tout s’agite à l’envers, se mêle et se confond
Chez l’homme... qui d’en bas laisse monter sa lie,
Comme un lac dont l’orage a remué le fond...
Sur le monde effaré souffle un vent de folie.

Chansons des nids et des berceaux (1896)

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