André Lemoyne

Symphonie équestre

               À Henri Chantavoine.
 
 
Au printemps de la jeune et belle Antiquité,
Quand le maître des Dieux laissait le jour éclore,
Aux bords de l’Orient, d’où jaillit la Clarté,
Les chevaux d’Apollon hennissaient à l’Aurore.
 
Si Pindare a chanté le noble et haut renom
De ceux qui triomphaient aux joutes olympiques,
Phidias a sculpté leur gloire au Parthénon,
Où passent en relief ces beaux coureurs épiques.
 
Rome, le Moyen Age et les siècles nouveaux
Honoraient les pur-sang, de libre et franche allure,
De race et de grand cœur, intrépides chevaux,
Vaillants, souples des reins et de riche encolure.
 
Bayard, qui portait seul les quatre fils Aymon,
À Montauban, Rodez, Narbonne et Pampelune,
Sans trébucher volait aux pays d’outre-mont,
En prenant la traverse et par des nuits sans lune.
 
Aux monts pyrénéens le cheval de Roland,
Hérissant sa crinière, avait farouche mine
(Du sabot au chanfrein tout son poil était blanc),
Léger comme un isard et pur comme une hermine.
 
Le pieux Saint Louis, sur un fier alezan,
Au pont de Taillebourg, se ruant ventre à terre,
Contre les gens félons criait : « Allez-vous-en
Dans le fleuve... » où tombaient les drapeaux d’Angleterre.
 
À Reims, où Jeanne d’Arc fit sacrer Charles Sept,
De son pas recueilli précédant le cortège,
Sa petite jument lorraine éblouissait,
Glorieuse au soleil dans sa robe de neige.
 
Pourquoi préférait-il un bon cheval normand,
Le roi gascon riant dans sa barbe, Henri Quatre,
Qui parlait l’espagnol, le belge et le flamand,
Mais le français toujours quand il fallait se battre ?
 
Pour le jeune conscrit et pour le vieux grognard,
L’aurore en plein hiver était rarement belle ;
Mais des lueurs d’orange éclairaient le brouillard
Lorsque Napoléon montait son isabelle.

Chansons des nids et des berceaux (1896)

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