André Lemoyne

Nuit tombante

               À Jules de Blanzay.
 
 
Dans les eaux sans reflet d’une boueuse mare,
Le froid soleil d’hiver, brusquement descendu,
Comme un astre honteux de sa lumière avare.
Sous un tas de roseaux frissonnants s’est perdu.
 
Je reconnais encor, dans une vapeur grise,
Un rang de peupliers qui se profile en noir.
Tantôt droit, et tantôt souffleté par la bise ;
Mais à mes pieds la route est impossible à voir.
 
Pas un son d’Angélus dans la campagne nue,
Et pas un maigre feu de pâtre s’allumant.—
Je traverse en aveugle une lande inconnue,
Dans un pays désert.—Pas un seul aboiement.
 
Mais là-haut, dans le ciel, une étrange voix parle,
Et semble articuler des mots incohérents,
Monologue inquiet d’un cygne ou d’un grand harle
Qui cherche dans la nuit ses compagnons errants.
 
Cette grave clameur descend au marécage
Dont le voyageur las a flairé les roseaux.—
Plus rien n’émeut le froid et sombre paysage :—
Nuit partout, dans le ciel, sur la terre et les eaux.

Les charmeuses (1864)

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